D’ICI À LÀ - I - 2 : Bâtir sur l'acquis. I - 3 : Stratégies de changement. I - 4 : Décès annonce de la pensée mécaniste.

 

BÂTIR SUR L’ACQUIS [1]

  

Les États modernes se construisent partout sur l'individuation des droits et des devoirs citoyens. Singulièrement aiguisées en Occident au fil de la dialectique public-privé, la distinction entre personne morale et personne physique est censée recouvrir le champ des variations entre collectif et individuel. Mais est-ce invariablement le cas ? La question soulevée prend tout son sens en Mauritanie, où les dérives de l'État, gangrené par un tribalisme exclu du droit positif moderne et dégondé, en conséquence, de ses fonctions vitales, ont nécessité la rupture que l'on sait et dont chacun espère le plus heureux dénouement.

            Les Mauritaniens s'auto-flagellent beaucoup en cette transition. Est-ce bien raisonnable ? Le président déchu chargé de tous les maux, sa clique taxée des pires avidités et de la plus basse médiocrité, le tribalisme ravalé au rang de sous-culture : l'exorcisme du mal passe probablement par cette complaisance hâtive à chasser dans le désert les boucs émissaires. Cela suffira-t-il à l'extirper ? Rien n'est moins sûr. La problématique mauritanienne s'enracine dans l'origine exogène de l'État, construit sur des concepts étrangers à peine maquillés de saveurs locales. Dans l'imaginaire populaire, la relation normale à celui-là demeure la gazra (razzia). Tant que celle-ci régnera en maîtresse sur les esprits, aucun changement, fût-il paré des plus sublimes insignes de la légalité républicaine, ne saurait aboutir au renouveau, tant plébiscité pourtant, du moins l'affirme-t-on, du sommet à la base de l'édifice social.

             La transition, si transition il y a, est donc bien entre la guerre et la paix. Réconcilier le peuple et son gouvernement, instaurer la confiance, développer les synergies, toutes les synergies possibles : nous en sommes là. On s'évertue, en ce sens, à garantir l'alternance politique : c'est bien. On prétend promouvoir la justice et la démocratie : c'est mieux. Qui ne souscrirait à cette noble entreprise, visant à réunir le fondement de la société musulmane et celui de la modernité internationale ? Mais en-deçà – ou au-delà, comme on voudra – des considérations techniques et savamment politiques, posons-nous, tous et chacun, en cette perspective d'armistice. Avec des questions simples, des plus intimes ou plus publiques.

             Suis-je, par exemple, plus juste, quotidiennement, en mes relations variées, que pouvait l'être mon grand-père, en son rude environnement ? Où se situent exactement mes temps de solidarité sociale ? En quelle fréquence ? En quels lieux ? Si tant est que démocratie signifie « pouvoir du peuple » (selon son étymologie grecque), de quel(s) peuple(s) fais-je partie, concrètement, quotidiennement là encore ? Où se situe notre pouvoir ? Que faisons-nous, que pouvons-nous faire ensemble, dans la trivialité de nos problèmes journaliers ? En quels lieux ? En quels temps ? Entre le peuple de mon grand-père et le(s) mien(s), il y a-t-il connivence, continuité, progrès ?

            Nous naviguons ici au cœur du problème. Sa résolution passe par la qualité des réponses, personnelles et collectives, à de tels humbles questionnements, et par celle du débat entre toutes. Si, celui-ci appartient incontestablement à la nation mauritanienne, la réalité des interférences étrangères, institutions de Brettons Wood, ONU, États amis, musulmans ou non, qui ont parfois pesé lourd dans les dérives de nos jeunes institutions administratives, invitent à élargir la concertation : nos remises en cause ordonnent également celles de nos relations, notamment financières, avec nos partenaires.

             Chacun se plaint du tas d'ordures trônant au milieu de son quartier. Qui l'entretient, qui l'assume? Qui en subit le risque pathogène ? Que peut le peuple environnant face à cette situation ? L'exemple ici choisi révèle une connexion potentielle entre les structures modernes de gestion administrative (État, collectivités locales, institutions internationales), les solidarités anciennes (fractions, tribus, ethnies) et inédites (associations diverses, jama'a de quartier et de village, etc.). Or il semble bien qu’obnubilé par de plus aveuglantes priorités (peut-être, également, par le souci d'individuation sus-évoqué), on ait négligé de développer toutes les interfaces d'un tel réseau. Les unes sont surchargées, les autres contraintes à des parcours tortueux, coulisses des plus obscurs privilèges [2], les dernières enfin, jamais nommées ou dépourvues de moyens d'action.

             Ces ruptures de communication génèrent la corruption ou l'irresponsabilité, au plus haut niveau ; la dégénérescence ou l'atrophie des liens sociaux, à la base. De moins en moins lieu de devoirs, l'assabiyya se dévoie pour survivre, en se faisant celui de la promotion individuelle : elle y perd son âme et celle de la nation. Il faut stopper cette hémorragie spirituelle et plaider, d'un commun accord, pour une réhabilitation du tribalisme. La compétition positive entre les tribus, claire, visible, doit devenir un souci majeur, non pas exclusif, bien évidemment, de l'État. À cette fin, il est tout d'abord impératif d'en reconnaître officiellement l'existence, en donnant à chacune un statut légal de personne morale.

             L'expression juridique prend, en l'occurrence, un poids singulièrement littéral. Serait-ce une honte aujourd'hui que de naître Smassid ? Mesure-t-on l'énormité suggérée par trop de commentaires post-aoûtards ? Préférons valoriser ouvertement l'essence plutôt que l'accident. L'appartenance à une même famille, une même fraction, une même tribu, oblige à une certaine tenue, un certain sens de l'honneur, une certaine représentation de son groupe d'origine, partout où l'on se trouve. « Ah ! C'est un Smassid... » signifiait naguère – le resignifiera demain [3] – une valeur. Association de bienfaisance, la moindre tribu est appelée à se distinguer par l'exemplarité de ses membres, dans la stricte conduite des affaires de l'État, sur les lieux de travail, dans les quartiers, les manifestations publiques ; à manifester sa puissance ; par son nombre, certes ; par sa capacité à soutenir l'ascension de ses plus valeureux ; mais, aussi et peut-être plus encore, par sa générosité et par l'intensité de son implication dans l'élévation générale de la Société civile.

             Comprenons-nous bien. L’indispensable reconnaissance de l'écriture tribale de la société mauri-tanienne n'est intelligible, du point de vue de la démocratie, qu'avec le développement simultané des nouvelles solidarités citoyennes. Les associations culturelles, religieuses ou non, les groupements de travailleurs, corporations ou coopératives, et les jama'a, de quartier ou de village, en constituent les plus éminentes personnes morales, dont il convient également de faciliter et développer la constitution juridique. Ajoutons à ce tableau les ONG nationales de développement qui chevauchent variablement le fait tribal et l'encours citoyen.

             Toutes ces partitions communautaires ont ceci en commun : d'émaner, non pas de l'autorité publique, mais directement de la Société civile ; de dépasser le cadre privé de la famille nucléaire ; de s'agglutiner, enfin, autour de buts non-lucratifs [4]. En tant que manifestations plurielles de la vie de la nation, de son peuple, elles doivent toutes bénéficier de moyens d'existence et il revient à l'État, en premier chef, d'en assurer la base : mais pas plus. Garant de l'intégrité nationale, tenu à des priorités planifiées de développement, celui-ci constitue le maître du territoire, l'ordonnateur du Droit et l'arbitre des conflits. C'est beaucoup de responsabilités mais ce n'est pas toutes les responsabilités.

             Si l'argent est le nerf de la guerre, il est plus encore celui de la paix. Or il ne fait aucun doute que l'État mauritanien n'a pas les moyens de soutenir financièrement les associations dont nous venons d'évoquer la multiplicité. Ne pouvant les assumer toutes, même sommairement, il vaut certes mieux qu'il n'en assume aucune : l'exclusion a le mérite ici de la clarté. Mais la nécessité de la chose publique, comme celle de la chose civile, obligent à quelque articulation. En ce besoin, le recours aux awqafs va se révéler providentiel.

Civilités de l’immobile

            Waqf : bien de mainmorte, incessible, inaliénable. Rendu tel par son propriétaire légitime, un tel bien, invendable donc, « non-héritable », est géré, « ad vitam aeternam », au bénéfice de telle(s) ou telle(s) personne(s), physique(s) ou morale(s), selon les modalités précisées par le fondateur. « Malik du mulk national » (ici, le territoire), l'État peut légitimement en concéder l'usage partiel, sous la forme d'un tel « gel de propriété », sécurisant ainsi le capital dévolu. Généralisée à toutes les associations à but non-lucratif, chacune selon son domaine et son besoin, cette formule de dotation situerait très précisément la vigilance de l'État sur la Société civile, sans l'écraser, ni interférer abusivement dans sa liberté d'entreprendre. Octroyer de l’usufruit foncier à ces diverses solidarités populaires, c'est les inciter positivement à se structurer dans la légalité, condition nécessaire, bien évidemment, à l'attribution du don.

             Disposer d'un capital foncier, sécurisé mais non négociable, ne suffit cependant pas à assurer le fonctionnement et le développement d'une association à but non-lucratif. Encore faut-il équiper celui-là, lui donner les moyens de produire suffisamment de fruits pour nourrir les activités de l'association. L'autofinancement peut, en certains cas, se révéler possible, en tout ou en partie (associations tribales, ethniques ou religieuses), mais plus souvent (et particulièrement, dans le cas des jama'a de quartier et de village), le recours à des aides extérieures apparaîtra incontournable. On entend bien qu'en cette hypothèse, les institutions laïques, de l'ONU, par exemple, soient préférentiellement – voire exclusivement – enclines à doter [5] un waqf visant à améliorer l'emploi, l’éducation, la gestion de l'environnement et la lutte contre la pauvreté (mu’âmalat), laissant aux institutions musulmanes le soin de fortifier un waqf à vocation plus spécifiquement religieuse ('ibâdat) : il sera important de les bien distinguer, en nommant le premier différemment du second.

             L'originalité du concept apparaît à présent. Constitué par plusieurs fondateurs, ces « awqafs associatifs » ressemblent bigrement à des « entreprises à capital non-rémunéré [6] », idée forte dont il conviendrait d'approfondir le thème : une étude qui dépasse assurément le champ de cet article[7]. Mais retenons ici deux principes essentiels à ce type d'entreprise : tout d'abord, celui de son conseil d'administration, réunissant annuellement représentant de l'association bénéficiaire, représentant de l'État et représentant des bailleurs éventuels ; puis celui de son nâdhir (gestionnaire), véritable chef d'entreprise proposé, par ladite association, aux deux autres membres du CA, au vu de ses compétences et de sa réelle disponibilité [8]...

             Le redéploiement des habous [9] en Mauritanie doit-il nécessairement entraîner celui d'un super-ministère de type turc ou maghrébin ? Sans doute inévitable en ces espaces lourds de tout un passé administratif, cette évolution ne nous semble ni inéluctable ni souhaitable en notre jeune nation. Évitons les goulots d'étranglement et réduisons la présence de l'État à la stricte utilité : son représentant choisi au sein du ministère le plus approprié au champ d'activités du waqf ; l'institution spécialisée – l'Établissement National des Owqafs de Mauritanie (ENOM) – juste sollicitée dans le seul règlement des éventuels conflits ; le tout dans une optique d'articulation optimale entre les services publics et ceux de la Société civile.

             On peut espérer un tel souci de fluidité dès le traitement initial du dossier fondateur de l'associa-tion [10]. Présenté au ministère de l'Intérieur, muni de son projet de waqf, et examiné en commission interministérielle, il trouverait en suivant son « correspondant administratif  [11] » chargé de suivre désormais le dossier dans tous ses développements ; une procédure simple de recours, combinant voie hiérarchique et consultance juridique (de l’ÉNOM, par exemple), limitant en outre les risques d'abus de pouvoir.

             Il convient, enfin, de situer cette démarche novatrice dans le cadre des stratégies mises au point depuis 1999 (UNDAF et CSLP). Elles butent depuis leur mise en œuvre sur un problème majeur, surtout en milieu rural : la lenteur de la décentralisation, tant sur le plan des ressources budgétaires que sur celui des compétences. Que peut le moindre village isolé du Hodh El Gharbi ?  Où sont les techniciens susceptibles d'y étudier finement les possibilités de développement intégré ? Où sont les outils et les fonds d'investigations ? Les moyens et les compétences des actions ? Ceux de leur permanence ? On se retrouve, encore une fois, face à un déficit évident d'articulation entre le global [12] et le local. Le lecteur avisé l'aura compris : au-delà de la problématique conjoncturelle, c'est bien l'enjeu réel des réformes à mener.

             En cette perspective, on aura soin de favoriser une interface ville-campagne dont on a, semble-t-il, insuffisamment mesuré le potentiel dans la toute fraîche histoire socio-économique du pays. Un waqf situé en pleine brousse aura peu d'opportunités d'attirer les quelques rares liquidités locales : il lui sera impératif de disposer d'un marché en ville, voire à l'exportation. À l'inverse, il peut être judicieux de constituer une part de ce waqf dans la capitale, drainant ainsi de non-négligeables ressources vers l'intérieur du pays. On entrevoit le réservoir de relations humaines que peut générer une telle approche associative de désenclavement.

             Toutes les forces de la Nation, traditionnelles ou plus modernes, participent à son développement. Elles ne sauraient pourtant être intégrées de force dans un même moule : ce genre de vision grossière appartient à un temps administratif révolu, particulièrement inadapté à l'esprit des Mauritaniens ; dangereux même, on s'en est juste à temps rendu compte. Si chacun aujourd'hui comprend, plus ou moins précisément, l'impérieux devoir de l'État à assurer la cohésion nationale, l'intelligence de celui-ci, de ses plus éminents responsables à ses plus humbles exécutants, consiste à donner à ces forces populaires suffisamment de coudées franches pour qu'une symbiose puisse se réaliser entre toutes. Personne ne saurait prédire ce qui naîtra de cet effort : on peut en espérer cependant un vrai modèle d'origine, portant loin l'estampille de la Mauritanie. Et Dieu, certes, est Le Savant.



                                     STRATÉGIES DE CHANGEMENT [13]

 

Variablement inscrit dans l’espace et le temps, le changement est une dimension probablement fondamentale – et permanente – de la vie. On le subit, fatalement ; on l’invoque, à l’occasion ; on le provoque, parfois, avec plus ou moins de bonheur. Le paramètre semble généralement se rire de nos prétentions à le contrôler et sa complexité, croissant exponentiellement avec celles-ci, nous renvoie régulièrement au banc des apprentis-sorciers.  Sortons donc du prétoire et invitons le phénomène à la table des négociations : peut-être trouverons-nous de plus sereines issues…

             Le temps change, les temps changent, changer le bébé, de veste, de l’argent, d’habitudes, changer à ou en ; oh, comme il a changé ! Le verbe « changer » a bien des visages et des degrés, impliquant toute une variété de mouvements spatiaux et temporels, pas toujours clairement identifiés. Ici, l’on entrevoit des cycles répétitifs ; là, des processus linéaires ; ailleurs, des choix, réversibles ou non. Et l’on ne mesure guère la multiplicité des interactions possibles entre ces différents modes de changement, s’abritant sous la communauté de clichés convenus pour justifier l’incertitude, peut-être inéluctable, des animations qui nous produisent ou que nous produisons. Le changement, le nouveau seraient ainsi les signes du progrès, situant l’évolution – mot magique, s’il en est, de la modernité – en valeur suprême de l’échange. On agite et s’agite donc, ingénument confiant en ce que l’aléatoire surchauffé détermine, sinon un réel « meilleur », du moins sa plus présentable illusion…

 Or la profusion de synonymes au changement qui évoquent son désordre potentiel – instabilité, altération, renversement, chambardement, etc. – nous inviterait plutôt à bien peser nos gestes, à discerner la qualité et le rapport des forces en jeu, avant de même envisager la modification de leur cours ; à établir donc des stratégies susceptibles de minimiser, non seulement, les pertes d’énergie – frottement, conflit d’orientations, de compétences ou autre – mais, aussi et surtout, l’intensité des flux perturbateurs, en limitant, tant se faire que peut, les champs de variance. Non pas qu’il s’agisse d’édulcorer ; de vider, par exemple, une indispensable réforme de son contenu révolutionnaire : on aurait alors et très bientôt à subir la lassitude du pourrissement, les troubles obscurs des eaux croupissantes. Une fois mesurés la nécessité du changement et le degré de son urgence, il faut conduire celui-là entre le trop et le pas assez, en situant, dans l’espace comme dans le temps, des sphères successives d’application soignée, en ordre gigogne croissant, respectant des temps de latence et d’assimilation viables ; si possible : objectivement appréciables.

        Entre le viable et le vivant, il existe cependant une équivoque d’ordre, disons, administratif. Le premier représenta longtemps la seule potentialité du second, avant de signifier également celle du durable, voire du simple logique, et cette évolution sémantique signale un fait de société qui voit la représentation du Réel jouir désormais d’un statut au moins équivalent au Réel lui-même. On parle tout aussi bien, aujourd’hui, de la viabilité d’un embryon que de celle d’un programme informatique. Il s’en suit des confusions de pensées – et d’actes – où l’artifice de systèmes apparemment cohérents, du moins dans l’ordre du fragmentaire, se confronte banalement à des réalités vivantes, dont la cohérence, non moins viable, sinon plus, mais dans un ordre de complexité beaucoup plus difficilement intégrable par les planificateurs, est régulièrement sous-estimée dans la conduite des sociétés humaines et de leurs rapports environnementaux. Cette commodité à courte vue tend à tout schématiser, réduisant insensiblement le Réel au rationnel ; pire : au seul quantifiable. Le slogan hégélien – « Tout ce qui est rationnel est réel, tout ce qui est réel est rationnel » – sous-entend de dangereuses négations, genre « Tout ce qui est n’est pas rationnel n’est pas réel »… Qu’un instituteur complimente son élève en louant le bon fonctionnement de son « ordinateur » – désignant, par-là, l’ensemble de ses facultés psychiques, émotives, sensibles et végétatives – sonne, à l’heure des satellites espions, plus le glas de l’esprit que l’angélus de l’humanisme. Faut-il s’étonner que notre planète – la Terre – en ait des sueurs ?

 Il est donc tout d’abord question d’acuité et de limites. Discerner, dans le mouvement des choses, les cycles naturels, les connexions certaines, les interrogations pertinentes ; « scalariser », le plus précisément possible, les emboîtements systémiques ; distinguer la nature des ensembles éventuellement en compétition, notamment ceux relevant des interventions idéalisées de l’humain – c’est à dire : filtrées par des schémas de pensée – il y en a de plus instinctives, voire résolument empiriques ; intuiter et signaler les zones probables d’inconnu, voire d’inconnaissable [14] ; définir largement – c’est à dire : toujours au bénéfice du doute, à celui du vivant – les critères, qualitatifs bien avant que quantitatifs, de risques ; inventorier les outils, les moyens, leurs impacts et contraintes possibles ; évaluer, enfin, les conditions minimales d’action – ou seuils d’effet – susceptibles de générer les processus recherchés, dans un champ lucidement restreint aux incertitudes cernées par les études préliminaires.

 Frilosité ? Non pas : pragmatisme. Les coûts, en aval d’un projet insuffisamment pesé, sont sans commune mesure avec les dépenses investies, en amont d’une réalisation bien étudiée ; et les bénéfices, bien évidemment, inversement conséquents. On redécouvre alors le sens profond du viable : fondé sur l’adaptation aux conditions localisées d’un système qui l’englobe, un projet correctement conçu peut y développer son potentiel de régénération, avec un coefficient croissant de rentabilité économique. Entendons-nous bien. Il faut ici résolument réintégrer la plénitude sémantique du concept « économie ». La fascination de l’argent, des espèces sonnantes et trébuchantes, particulièrement obsédante en Mauritanie – et cette obsession a une histoire dont il serait bien nécessaire, peut-être urgent dans la tourmente mondialisée, que les Mauritaniens fassent, eux-mêmes et objectivement, le tour critique – a posé une chape de métal sur la vitalité des lois de l’économie réelle, conservation de l’énergie et minimisation des efforts, notamment. « Soyez économes et généreux, vous serez heureux. »  Vieux dicton désuet ou slogan planétaire de demain ?

             On conviendra sans doute qu’une telle approche de développement, dont on pressent l’ambition de la durée ; autrement dit : du viable ; nous amène à ne pas négliger l’expertise des siècles, des espaces et des vies, peu ou prou soumis aux conditions si particulières de l’économie contemporaine, dont le caractère révolutionnaire – la fameuse et si ambiguë révolution thermodynamique – a placé, en deux petits siècles, l’Occident au firmament des affaires et lui a valu le monopole de l’étiquette « modernité ». Mais n’est-elle « moderne », l’économie vitale du petit poussin à l’instant éclos de son œuf ? Les experts du FMI souriront probablement de l’« amalgame ». Il n’en demeure pas moins que cette « petite organisation » se renouvelle avec un succès certain, inlassablement depuis quelques centaines de milliers d’années – ou millions, on s’y perd un peu, dans cette prodigieuse générosité – à l’intérieur d’une biosphère plus immémoriale encore. Aurions-nous, moyennant un chouia d’humilité et à peine plus d’intelligence attentive, quelque leçon à en recevoir ? D’autres avant nous, et non des moindres, y ont puisé, sous des éclairages certes variablement éminents, l’argument de changements menés de main de maître.

 Modèles éprouvés

Des grandes civilisations qui ont précédé la révolution thermodynamique, la Chine se distingue par sa durée et sa stabilité, en dépit de profondes crises, vécues, parfois conduites, comme autant de mues inéluctables. Des successions dynastiques à la refonte périodique du calendrier, en passant par le renouvellement radical, mis dramatiquement en scène par des autodafés gigantesques, des signes mêmes de sa culture – les idéogrammes – la société chinoise est largement inscrite dans la cyclicité des phénomènes ; l’irréversibilité, également connue et conceptualisée, n’en révélant jamais qu’un aspect paradoxalement transitoire. À cet égard, il n’est pas fortuit que le seul livre qui ait résisté, au travers des millénaires, à la contrainte de ces métamorphoses, traite justement de la science des changements : le « Yi King » ou « Livre des transformations », dont Richard Wilhem, un sinologue allemand, a produit, à ce jour, la plus fine traduction [15].

L’argument fondamental de l’ouvrage repose sur l’unicité fondamentale du Réel, dont la « compréhension », indissociable d’une intimité réalisée, est contenue dans une grille de 64 – soit 26 – situations permutables entre elles, symbolisées en langage binaire selon toutes les positions logiquement possibles. Selon cette grille, le moindre changement relèverait d’un arrangement quelconque, compris entre 000000 et 111111 – en mode binaire, rappelons-le, mais aussi bijectif : le 1 symbolise, ici et notamment, le haut, le clair, l’impair, le ferme, le fort, la justice, le créateur ; le 0, à l’inverse, le bas, l’obscur, le pair, le malléable, le faible, l’amour, le réceptif – la succession des événements étant commandé par la transformation, éventuelle, d’un ou de plusieurs des six rangs d’écriture ; et ce, selon un ordre strictement qualitatif : la transformation a lieu ou non, sans qu’il soit logiquement possible de l’attribuer définitivement au seul jeu de l’aléatoire ou à la loi d’une Puissance Absolue. Le terme « compréhension » est en l’occurrence ambigu. L’ambition chinoise traditionnelle n’est pas d’ordre spéculatif mais éminemment pratique : il s’agit bien plus d’adhérer, d’agir ou de laisser agir, en pleine conformité avec l’ordre des choses, à l’instant t de sa manifestation, connecté au flux de la Réalité impalpable et sans nom, du plus proche dedans au plus lointain dehors, dans la plus complète symbiose possible.

     Chacune des soixante-quatre situations porte un emblème qui la totalise et dont la puissance d’évocation, enfouie sous les millénaires, a donné lieu à d’innombrables commentaires, illustrés de situations vécues et soigneusement choisies, qui ont constitué une sorte de catalogue événementiel, presqu’une jurisprudence, où la sagesse de grands maîtres spirituels s’est peu à peu accumulée, génération après génération, fusionnant en un ensemble dont la densité demeure encore aujourd’hui difficilement pénétrable. Mais, sans entrer dans des considérations détaillées qui seraient, en l’exiguïté d’un tel article, inutilement fragmentaires, il importe de retenir le singulier rapport que le Yi King entretient entre l’abstraction mathématique et la concrétion des faits. En somme assez simple, la grille de lecture s’enrichit ainsi de toute une complexité d’images et cette coordination génère temps et lieu de transition où peuvent se rencontrer sens et vie, ordre du monde et nature intérieure. Dès lors, on entend bien comment « le changement ne cesse d’être l’immuable », dans la pensée traditionnelle chinoise.

     Dans quelle mesure « la changité dans le stabilement » – le bon mot de Habib ould Mahfoud qui entendait stigmatiser, ainsi, « ce défaut national [mauritanien] que caractérise notre tendance généralisée à évoluer sans changer [16] » – aurait-elle quelque accointance avec la sentence orientale ? Certes, la rudesse des conditions bioclimatiques, à elle seule, suffirait probablement à justifier ce traditionnel conservatisme, notamment en matière de liens sociaux. Mais il nous semble plus globalement pertinent de nous arrêter ici à l’impact de la religion musulmane qui sut si bien intégrer ces paramètres environnementaux, sans cesser de préserver un riche potentiel de changement, susceptible d’animer, au gré des nécessités, d’efficaces transformations individuelles et sociétales. Le paradoxe tourne autour d’un axe immobile : la référence constante au passé, au temps de la Révélation Coranique – c'est-à-dire également : celui de la prédication mohammadienne – comme modèle de changement, dont l’étude des textes et contextes ouvre à une méthode universelle et atemporelle de revivification, toujours ajustée aux conditions existentielles variablement mouvantes.

 Action graduelle, construite sur l(a) (ré)intégration progressive et mesurée de comportements vivifiants, « nouveaux » en apparence – en réalité : résurgents de temps originels oubliés – la stratégie musulmane entend pacifier, réunir la conscience, réunir les consciences, par la soumission volontaire au Principe de l’Unicité Absolue, clairement réveillé, révélé, à nos relativités obtuses, par la Merveille Coranique, optimalement élucidée par la lecture affinée qu’en fit le Prophète (PBL). Vertu et rythme de l’efficace : il fallut une décennie pour que s’affirme une cohérence sociale de quelques centaines d’individus, autour de cette simplicité fondatrice, durant laquelle les prescriptions coraniques se comptèrent sur les doigts d’une seule main ; douze ans plus tard, plus de la moitié de l’Arabie est unifiée, autour d’une fédération assurant, à toutes les minorités, notamment religieuses, une citoyenneté, certes sélective et communautariste mais tout de même constitutionnelle. Le Saint Coran se clôt sur désormais quelques dizaines de règles variablement impératives, toutes construites en référence à des situations concrètes, souvent précisées dans leurs nuances d’application par tel ou tel commentaire ou application pratique du Prophète (PBL) qui meurt, sans avoir organisé la continuité du changement. Pourtant, et en dépit de cette problématique successorale, c’est de l’Atlantique à l’Indus que s’étendra, au cours des deux décennies suivantes, la civilisation (re)naissante de l’Unité Transcendantale.

     Tout au long des quatorze siècles qui ont contemplé, depuis, les flux et reflux de cet océan grandissant, fort aujourd’hui de près d’un milliard et demi de sources plus ou moins abondantes, cette époque bénie aura tour à tour servi de socle à la gestion, complexe et cumulative, des diversités de temps et de lieux irriguées par ses eaux, et au rappel, simple et dépouillé, de sa primordiale force réformatrice et unificatrice. A-t-on cependant pris le temps de penser cette alternance ? Elle s’inscrit dans un examen, minutieux et critique, des schémas stratégiques inhérents à l’islam, qu’il importe d’élucider dans toute leur portée globale, à l’heure d’une mondialisation qui tend à imposer des grilles standardisées sur l’appréciation et la conduite des divers changements affectant l’individu et le social, le vivant, le virtuel et le manufacturé, etc. Les enjeux sont capitaux et laissent entendre une tout autre dimension au « choc des civilisations » dont on nous rabat si rudement les oreilles.

Prenons-y garde en toute vigilante quiétude. Il y a, tout autant, à éloigner les spectres de dangereux affrontements sectaires qu’à déjouer l’affadissement spirituel qu’au nom d’une paix apeurée, un humanisme à ventre mou, édulcoré de toute tradition profonde et spécifique, religieuse ou autre, prétend généraliser à la surface du Globe. La paix des civilisations passe par l’acuité de leur diversité, essentielle – c’est, en islam, un constat coranique – au développement de la connaissance. Aura-t-on entendu, ici, les probables rencontres interculturelles, loin des superficialités formelles, fatalement et heureusement divergentes, entre des traditions apparemment aussi lointaines que celles de la Chine et du Sahara ? On entre, là, dans le domaine supérieur et subtil de l’intermédiaire entre ciel et terre, plus précisément entre l’humain et le divin, où Ibn Sina voyait s’entretenir les anges, les prophètes, les philosophes et les saints, où s’épiphanisait, au bal gracieux des nombres géomètres, la matrice de tous les changements… En l’oubliant, on n’y entrerait plus et le monde en dessous obéirait, alors, à quelles métamorphoses ?

Choix d’une méthode

Si la conduite d’un changement présuppose, on l’a vu précédemment, un référentiel théorique clair, un ensemble cohérent de paradigmes régulateurs, d’autant plus efficace qu’il a été longuement éprouvé, voire précisément critiqué, elle exige également une acuité sensorielle, ouverte à tous les azimuts de son champ d’application, et des moyens d’action, enfin, appropriés à la stratégie retenue. Entre l’état des lieux, la définition des buts, des capacités d’exécution et l’évaluation des effets, la circulation optimale des informations se boucle sur le choix de la meilleure conduite. Dans les cas les plus simples, le cycle est vite parcouru : de la roue crevée de votre véhicule à son remplacement, la stratégie à suivre découle à l’ordinaire d’une seule question : « ai-je ou n’ai-je pas les outils et les compétences pour manier ceux-ci ? ».

 Mais les choses se corsent vite, et de façon exponentielle, au fur et à mesure que s’élève la complexité des phénomènes en cause ; avec une frontière qualitative, pas toujours évidente à situer, entre mécanisme et vie. En admettant, ici sans discussion, qu’un mécanisme, c’est un système non-vivant, on s’épargnera, sans regret, l’horreur sémantique des « mécanismes vitaux », dignes de la modernité préhistorique ; et ce, en dépit des roboïdités bioniques qu’on nous concocte, pour demain matin, voire cet après-midi même…

 Prenons, plutôt et par exemple, le sibyllin projet de mettre en orbite, autour de notre chère planète bleue, un nouveau satellite de communications. Si l’objet est indéniablement un mécanisme, impliquant toute une complexité technique, quantifiable de son élaboration à sa mise en service, il interfère, tout au long de son existence, avec une multitude d’organismes, vivants ou impliqués eux-mêmes dans une chaîne vitale, qui vont devoir gérer ; plus souvent : subir ; ce rapport, peu ou prou considéré, néanmoins, dans l’économie générale du projet. A-t-on jamais évalué, par exemple, le coût écologique du seul lancement de la fusée porteuse ? Intégré, aux frais d’exploitation, les maladies professionnelles générées par l’élaboration de tel ou tel matériau indispensable à la viabilité de l’engin ?

 Conçu en pensée fragmentée, ce genre de projet est totalement dépassé par la multiplicité des changements qu’il provoque, en en assumant le moins possible. On applaudit, bien sûr, à la mise en orbite du satellite ; on se plaît à recevoir chez soi, à la seconde, des nouvelles neuves du monde ; les actionnaires de nombreuses entreprises – NASA et Télécoms, en premier chef – se frottent avidement les mains ; des myriades d’ouvriers encaissent le prix de leur sueur… Et, cependant, les eaux des océans montent, doucement ; les tornades se déchaînent, un peu plus souvent ; les ressources non-renouvelables s’épuisent, inéluctablement ; les pauvretés s’avivent, douloureusement : le progrès serait-il donc mafieux ?

 Il est en tout cas relatif. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». En accolant ce beau principe, scientifiquement énoncé par Lavoisier – dont l’affiliation avec la Chine antique, subtilité des connivences, ne semble pourtant guère établie –- à celui de Pascal, dont le lien avec la pensée traditionnelle est plus connu – « Un tout est autre que la somme de ses parties » – on envisage des emboîtements correcteurs, susceptibles d’ouvrir de vrais espaces de négociations entre nécessités mécaniques et vitales. Se mettrait-on d’accord pour accepter un principe d’inégalité, toujours et à tous les niveaux de complexité, en faveur des secondes ? Ce choix de précaution rendrait bien des services aux générations futures dont le capital de progrès semble un tantinet écorné par nos enthousiasmes aveugles, sinon odieusement égoïstes… Cela signifie, par exemple, que notre beau projet de satellite aurait à s’insérer, directement au vu de son ampleur, dans le domaine des équilibres de la biosphère, en intégrant, tout au long de sa chaîne de production – j’allais dire : alimentaire – les conséquences probables de ses interactions avec le vivant… Vaste, vaste entreprise où les « effets-papillons [17] » pullulent, comme en un champ de coquelicots…

 Si une telle problématique ne semble guère à portée immédiate – Dieu en soit loué ! – de la Mauritanie, celle-ci doit cependant en affronter d’autres, certes plus modestes mais non moins capitales pour son avenir. À bien des égards, les mêmes principes que précédemment lui sont applicables, avec des nuances d’interprétation assez pertinentes pour le fil de notre exposé. On s’interrogera, par exemple, sur la localisation des rapports entre mécanisme et vie. Ils sont nombreux et fort diversifiés. Du téléphone portable dont les ondes courtes courent en permanence le long des réseaux électrochimiques de votre cerveau, aux programmes scolaires qui tringlent l’espace-temps de nos chérubins, en passant par les industries des matières non-renouvelables, l’agriculture ou la pêche, ces rapports s’emberlificotent à notre quotidien, individuel et collectif, sans qu’il soit bien certain que nous en assumions une quelconque gouvernance. Sur le principe de précaution plus haut énoncé, on aimerait ainsi qu’une part non-négligeable des bénéfices publics et/ou privés issus de la téléphonie mobile s’investisse dans la recherche médicale nationale et la récupération des piles hautement toxiques qui alimentent nos petits engins ; qu’une portion croissante des enseignements – jusqu’au tiers, au minimum, du temps scolaire – soit conçue et réalisée à partir et en direction de l’environnement quotidien des élèves ; qu’un pourcentage majoritaire des bénéfices nets réalisés sur la liquidation des richesses non-renouvelables soit capitalisé dans des entreprises awqafs, exploitantes de matières et produits renouvelables, au bénéfice d’œuvres éducatives, médicales ou humanitaires ; que l’agriculture et la pêche soient, enfin, pensées et conduites, d’abord et préférentiellement, en tant que productrices de vie. La simplicité du concept rejoint celle de la Mauritanie profonde où s’enrichir, traditionnellement, ce n’était pas accumuler des biens, mais bien accumuler de la vie. On conviendra bientôt – c’est-à-dire : après un certain temps, latence impérativement nécessaire, de reconstruction patiente – de la rentabilité supérieure d’une telle fidélité.

 On cite souvent, en terres d’islam, la graduelle progression de l’interdiction de l’alcool par le Saint Coran, comme l’exemple même de l’adéquation législative aux réalités sociales. A-t-on, aujourd’hui en Mauritanie, toujours ce souci ? Or l’argument fondamental du Droit moderne repose justement sur son hypothétique capacité à s’adapter rapidement au changement. De fait, la proposition semble se vérifier en ce qui concerne le « haut » de l’histoire : l’arsenal juridique mauritanien se conforme assez facilement – on ne discutera pas, ici, de ses incohérences internes – aux nécessités de la « chose marchande » mondialisée et des intérêts « supérieurs » de la Nation. Mais qu’en est-il des intérêts « inférieurs » ? Normalement inconnus, négligés, ils se débrouillent comme ils peuvent, et le « tieb-tieb » de la survie construit d’étranges hybrides, entre Droit positif musulman, loi de la jungle et droit de péage – ces fameux « miteynes » (200 UM) collectés aux carrefours par les nouveaux griots de la loi adaptée. Faut-il s’étonner que notre environnement en souffre ? On aimerait, là encore, que les meilleures intentions régulatrices s’informent, réfléchissent et planifient, plus en termes de vie, rééquilibre, concordance (tawfiq), que de mécanismes, réglages et autres conformations.

La nuance implique vision globale, permanente, et localisation d’autant plus précise des actions qu’elles s’insèrent plus profondément dans le tissu de la vie, avec, en conséquence, une dose croissante d’incertitude. À cet égard, peut-être justement à cause de cette inévitable zone d’incertitude, le célèbre slogan de la pensée systémique – « penser global, agir local » – semble plus souvent invoqué qu’approfondi. C’est pourtant de l’action locale – le lieu étant pensé comme un tout – que se développe la pensée globale – effet inverse trop oublié – qui peut générer, à son tour, non seulement de plus fines actions locales mais aussi de plus sûres interventions à un échelon supérieur de la complexité. Cela signifie notamment que le réglementaire ne devrait se former normalement qu’en aval, et jamais en amont, de l’action. Une réforme d’ampleur nationale s’élabore dans un panel diversifié de petites localités rurales, d’humbles quartiers de la capitale, s’y expérimente et s’y affine à moindre frais, dans toute la globalité d’une vie quotidienne banale, avant d’entrer dans les cartons parlementaires. On veut parler démocratie : ce sont les petits nombres qui font les grands, tout comme les sources, les océans.

Quels possibles en Mauritanie ?

Dans quelle mesure a-t-on le choix de la réglementation, en aval plutôt qu’en amont d’un changement quelconque ? Tout dépend, de fait, de la nature de ce changement. En un demi-siècle, la population mauritanienne a quintuplé, tout comme le cheptel, entraînant une dégradation sensible des écosystèmes  du territoire national, sans compter l’impact – particulièrement dévastateur dans le domaine de la pêche – de grands prédateurs étrangers, trop complaisamment invités au pillage. Dans ce mouvement largement incontrôlé, des fortunes se sont bâties, des infortunes appesanties, différenciant les perceptions de celui-ci, de ses effets et des nécessités, sinon à le conduire, du moins à mieux en répartir les charges. Au sein d’un changement subi, on aurait donc à choisir entre, d’une part, la perturbation minimale de nos intérêts et des monopoles, astucieusement acquis sous cette « fatalité » fort opportune, et, d’autre part, des « sous-changements » réfléchis, jouant sur de périodiques rééqui-librages, de plus justes appréciations et partages des efforts, des gains et des pertes : faut-il s’étonner que les nantis – qui sont assez souvent familiers des législateurs – variablement soutenus par leur servilité obligée, sinon parasite, soient plus enclins à verrouiller qu’à ajuster ?

         Mais lorsque le statu quo signifie inexorable tarissement des sources de profit, les plus avertis de ceux-là se découvrent de puissants élans réformateurs : cela compense de plus obtuses avarices. À l’inverse, l’accessibilité du plus grand nombre à l’exploitation des ressources ne garantit certainement ni la diversité ni la pérennité de ces dernières : il s’agit de vulgariser une vision globale des phénomènes. On entrevoit dès lors, dans une économie mauritanienne tant dominée par l’informel, toute la relativité des démarches réglementaires et le rôle crucial de la Société civile, notamment en ses capacités de communications et sa plasticité institutionnelle, dont on a, soulignons-le au passage, très insuffisamment en Mauritanie, exploité le différentiel. À cet égard, la mise en place d’un ministère chargé des relations avec le Parlement et la Société civile situe admirablement – il convient, en tout cas, de le souhaiter et d’y œuvrer résolument – la synergie essentielle à une organisation vivante, évolutive, de la civilisation mauritanienne, qui se bâtit, bon gré, mal gré, sur sa traditionnelle tribalisation. Naissance d’un « modèle » ? On peut lucidement espérer qu’aux archaïques espaces de razzia (gazra) succèdent des temps croissants de négociations, d’autant mieux accomplis que s’élève la perception objective et globale des enjeux, à tous les niveaux du corps social.

 Quelles compensations peut obtenir tel monopole ou position privilégiée d’hier, voire d’aujourd’hui encore, à l’ouverture de ses remparts ? Si tel évènement devait démasquer une incom-pétence, une incapacité, une tromperie ou une surexploitation, on voit effectivement mal en quoi celui-ci puisse enrichir celui-là. Inversement, les résistances obstinées à s’ouvrir à l’échange, au partenariat, voire à la concurrence, peuvent signifier une faiblesse interne dont le dévoilement ruinerait au moins la façade de l’éminente situation. Mais, entre la nécessaire protection d’une marque d’origine, d’un patrimoine précieux irremplaçable, et leur non moins nécessaire participation à l’enrichissement de la Nation – de l’Oumma, de l’Humanité planétaire… – c’est bien dans l’élévation de la qualité, dans la diversification des investissements que s’épanouit la métamorphose d’un monopole, suscitant, dans la compétition des performances, l’accomplissement de ses plus hautes ambitions.

Parlerait-on de noblesse ? La question – ailleurs et malheureusement désuète – conserve en Mauritanie une saveur certaine. On n’a pas eu – Dieu en soit loué et fasse-t-Il qu’il en demeure ainsi ! – à couper des têtes pour introduire le nouveau dans l’ancien. Insensiblement, la qualité de naissance se transforme en qualité de compétences et ce n’est un secret pour personne que les élites nationales contemporaines – médecins, juristes, politiques, experts et autres universitaires – se recrutent encore très largement au sein de la noblesse traditionnelle. Certes, il faudra attendre un peu avant de voir un chérif [18] mauritanien capable, tout à la fois, de gérer son entreprise, depuis son bureau climatisé, et d’en remontrer, sur le terrain, à ses ouvriers, dans la sueur des difficultés techniques. Il reste à banaliser, c’est vrai, l’alliance de la tête et des mains en un même individu. Mais, à moins d’envisager un développement de type, disons, « golfique » dont les criants archaïsmes suscitent de non moins criantes injustices, fort criardes au tympan musulman, cette alliance semble inéluctable, entretenant, quant à sa conduite, une intrigante interrogation : la noblesse est-elle soluble dans la consommation ? Dans la mesure où celle-là ne se dissolve pas dans celle-ci – il existe une nuance, de taille, entre dissous et dissolu… – on devrait voir bientôt les signes concrets d’une intelligence mauritanienne métamorphosée, justifiant, par l’élévation graduelle du potentiel populaire national, la permanence, même relative, d’un ordre ancien dans le nouveau.

 On aurait donc à instruire une qualité de terroir, fidèle et novatrice. L’équilibre des adjectifs ici convoqués n’est pas des plus aisés. À l’étude des milieux ambiants, physique et culturel – étude approfondie, systématisée, organisée, de l’école primaire aux cycles supérieurs de l’Université – il convient de confronter celles des espaces et des temps étrangers ; non seulement, ceux de l’Occident encore dominant mais, aussi, ceux de l’Oumma internationale, dans la prodigieuse diversité de son histoire. En voie de civilisation accélérée, la Mauritanie musulmane d’aujourd’hui– y aurait-il, dans le subi des changements, une Mauritanie non-musulmane en gestation ? La question mérite d’être lucidement débattue… – ne peut plus se satisfaire d’une lecture tribale, mauritano-mauritanienne, de la dimension sociale (mu’âmalat) du fiqh. Il s’agit de lire, avec la plus extrême attention et la plus complète liberté d’esprit possible, les expériences, réussites et échecs, accumulées depuis des siècles dans les espaces civilisées de l’islam, de l’Indonésie au Maghreb, et d’en tirer, à la lumière des conjonctures contemporaines, des filtres adaptés à la situation du pays. À cet égard, le « retard » de la Mauritanie, son long isolement des grands courants civilisés de la planète, apparaissent bien plus en opportunités chanceuses qu’en lourds handicaps. L’ouverture du pays a coïncidé, coïncide encore, avec un désenchantement mondial croissant, quant aux capacités des modèles socio-économiques en cours à assurer l’avenir du Monde et la recherche de  solutions innovantes est devenue un paramètre moteur du développement. Dans la mesure où s’y élabore une véritable symbiose entre tradition et modernité, particularisme et universalité, la jeunesse de l’État mauritanien constitue un potentiel d’adaptation plastique et de modélisation sociétale de tout premier plan dans le concert des nations. Nos élites ont-elles pris conscience de cette situation ?

 Elles avaient en tout cas de telles ambitions dans les années soixante. Ont-elles baissé les bras, devant l’ampleur des complications apparues dans les deux décennies suivantes ? Ou courbé l’échine devant l’attrait – sinon par dédain – d’un pillage savamment orchestré en de secrètes et puissantes instances, probablement fort peu mauritaniennes ? Nouakchott, en tout cas, n’a actuellement plus rien à envier aux autres capitales du Tiers-Monde, ni, hélas, à susciter leur jalousie : les puanteurs de la saison humide en témoignent sans fard, surtout, et ce n’est évidemment pas un hasard, dans les vieux quartiers populaires. Faut-il pour autant conclure à l’abandon de poste des consciences dirigeantes ? Il s’est, en cinquante ans, beaucoup construit, dans les villes comme à l’intérieur du pays, beaucoup réfléchi aux conditions existentielles modernes, fût-ce dans la seule immédiateté des opportunismes, et, quelles que soient ses modalités d’accumulation et de redistribution –disons, « variées »… – l’apparition d’un grand capital spécifiquement mauritanien a suscité des mouvements un peu plus ordonnés, un peu plus ordonnables, de l’activité socio-économique de la Nation. On perçoit aujourd’hui les nécessités vitales d’une exploitation également plus cohérente des ressources naturelles, renouvelables ou non. On entend mieux, au-delà des formules politiquement correctes, la valeur de civilités actives entre les individus, sans considérations tribales ou ethniques. Plus lucides, les élites de Mauritanie seraient-elles plus aptes à conduire, et non plus subir, le changement de leur société ? Incha Allahou, répondront les plus actifs d’entre eux : et ils auront parfaitement raison.

  

Où va-t-on lorsque les trois secteurs fondamentaux du développement ne sont pas pensés ensemble ?


 

                                     DÉCÈS ANNONCE DE LA PENSÉE MÉCANISTE [19]

 À l’heure du réchauffement de la planète, dans quelle mesure peut-on fonder des politiques sectorielles insouciantes des interconnexions du vivant ? Peut-on encore négliger– en a-t-on même le droit ? – le plus petit paramètre dans l’appréciation du moindre organisme participant des équilibres de notre biosphère ? Sur quels critères, enfin, penser la rentabilité de nos activités laborieuses ? Nous avons subi, depuis plus de trois siècles, une pensée mécaniste fragmentée dont le pouvoir certain sur la matière n’aura eu d’égal que l’intensité des désordres en retour. Il est plus que temps de débrancher nos connexions mentales – probablement aussi nos intérêts à trop court terme – qui maintiennent artificiellement en vie cette monstruosité moribonde…

         Il y a une trentaine d’années, Hubert Reeves, le célèbre astrophysicien vulgarisateur des grands thèmes scientifiques du XXème siècle, rapportait à la télévision française une expérience statistique réalisée par des météorologistes. On avait accumulé dans la mémoire d’un super-ordinateur un nombre impressionnant de paramètres objectifs, susceptibles de peser variablement sur l’évolution hebdomadaire des conditions météorologiques : il allait pleuvoir toute la semaine. Jusque-là, rien que de très banal. Mais un de ces infatigables chercheurs avait eu l’idée, assez poétique au demeurant, de compléter la démarche, en introduisant un nouveau paramètre, extrêmement, mais alors extrêmement, ténu : le déplacement d’air provoqué par l’envol d’un papillon. L’ordinateur s’affaire et livre son verdict : beau temps dans les trois jours…

         On a beaucoup disserté sur cet « effet-papillon » qui soulignait la fragilité scientifique des prévisions aléatoires et l’impénétrable complexité des relations fondant la variance des événements. On redécouvrait ainsi un vieux principe des sciences traditionnelles, formulé de longue date, de la Chine au Pérou, en passant par les recueils tant vilipendés des alchimistes et autres astrologues du Moyen-âge : « Un tout n’est jamais réductible à la somme de ses parties ». D’autres scientifiques, comme Edgard Morin, Joël de Rosnay, ou Edward Twitchell Hall [20], moins enclins, semble-t-il, au lyrisme enchanteur de monsieur Reeves, se sont appliqués à construire, sur ce principe retrouvé, une méthode logique d’appréciation du Réel, du moins de ses variations objectives, et leurs travaux ont accouché d’une fameuse « analyse systémique », qui permet d’envisager les situations et les structures, notamment vivantes, comme autant de systèmes interconnectés, enchâssés les uns dans les autres en fonction de leur complexité croissante : l’Univers ne cesserait jamais d’être Un, et la perception de cette unité, toujours relative ; ordinairement dialectique…

             Sans entrer dans le détail d’une telle logique dont on soulignera simplement ici la proche [21] parenté avec la pensée musulmane et qui demanderait un examen approfondi de la part de nos oulémas, il faut entendre la condamnation sans appel qu’elle implique : celle de la vision mécaniste, issue du 17ème siècle anglais, qui a fondé le monde moderne et qui continue de dominer encore trop largement la pensée et la conduite des peuples civilisés. Rappelons-en quelques fondements, qui furent clairement explicités par divers savants de l’époque, notamment l’anglais sir William Petty, en son éloquente Arithmétique politique : « La nature, la matière, le peuple, sont moins des organismes vivants que des ensembles « mécaniques » dont les actions sont mathématiquement mesurables [22] ». La science des statistiques est l’enfant le plus prestigieux de cette pensée réductionniste dont le simplisme redoutable, s’appuyant sur une rationalité industrielle décuplée par la fragmentation de la matière à des fins énergétiques – c’est la fameuse révolution thermodynamique qui bouleverse radicalement plus de dix millénaires d’une économie néolithique fondée sur la diversification et la cyclicité – consiste à diviser pour régner ; rompre pour extraire ; dépasser, voire transgresser, pour progresser.

                Cette proposition – politiquement formulée, avec non moins d’éloquence, par Machiavel, un siècle et demi plus tôt – se traduit, en termes de domination sur la matière et le travail, par un cloisonnement croissant entre les éléments reconnus actifs, jugés pertinents du point de vue de leur efficacité, c’est à dire le plus souvent : de leur rentabilité économique ; l’économie étant entendue, elle aussi, en termes réducteurs de profits financiers. Illustration de cette obtusion d’esprit, une plante médicinale n’aurait ainsi d’intérêt qu’en ce qu’on peut isoler son « principe », chimiquement identifiable à un assemblage moléculaire reproductible à l’infini, tout le « reste » étant superflu, négligeable, résiduel : à éliminer donc. L’intelligence d’un être humain ne semble plus utilisable que spécialisée, strictement cantonnée dans le secteur que lui assigne la nécessité productive. On comprend dès lors la logique écrasante des grands nombres qui fondent la politique des grands capitalistes et des États ; le poids de la « chose marchande », dans les stratégies scientifiques dominantes, parfois même dans les avis des savants…

 Il est, à cet égard, assez effarant de constater qu’après plus de trente ans de réfutations [23] de cette position conceptuelle, étayées de plus en plus clairement par des preuves concrètes – les désordres écologiques grandissant venant journellement s’ajouter aux non moins terribles désordres sociaux et économiques – on continue de nous instruire imperturbablement des rentabilités agricoles, par exemple, en tonnes à l’hectare, en « oubliant », soigneusement, le coût des engrais, pesticides, herbicides et autres insecticides – Qui s’engraisse, en Mauritanie, de cette industrie importée des pays dits « développés », profitant, quant à eux, de l’aubaine pour subventionner, un tant soit peu plus, leur agriculture hypertrophiée et néanmoins surendettée ? – des campagnes « d’extermination » des « nuisibles » – plantes aquatiques, rongeurs et granivores pullulant sous l’effet de quelles contraintes ? – de l’entretien et du renouvellement des équipements – eux aussi importés – du poids social et économique des faillites cumulées, depuis des décennies ; j’en passe, et, très certainement, des « meilleures ». On nous objectera que ces différents paramètres ne sont pas tous systématiquement intégrables aux comptes des exploitations agricoles. Mais il existe des méthodes simples, capables de répercuter dans l’ordre du localisé, avec une marge d’approximation suffisante, des données macroéconomiques précises. Encore faut-il avoir la volonté de l’objectivité ; et certes : les diplômes les plus prestigieux n’assurent que la potentialité de celle-ci…

 Il s’agit, en fait, de réviser profondément notre approche des phénomènes. Pour rester dans le domaine agricole – bien que le concept occupe un champ bien plus vaste – il n’est pas fortuit que cette révision puisse s’initier sur un principe ancestral, longtemps opératoire en Mauritanie. Dans tous les espaces saharo-sahéliens, en effet ; probablement même : dans toute l’Afrique ; « être riche, ce n'était pas accumuler des biens, mais accumuler de la vie. La démarche n'est pas d'ordre quantitatif, remarquons-le. Surnuméraire, la tribu ne pouvait plus vivre dans son environnement. Le compromis n'est pas seulement social, il est, avant tout, écologique. Aussi les interactions entre les humains, entre ceux-ci et leur milieu de vie, tributaires des aléas climatiques, furent-elles constamment réajustées à l'aune de contingences immédiatement sensibles [24] ». Sitôt réintégré dans cette pensée globale, on resitue illico la valeur des outils scientifiques légués par la pensée mécaniste. Une fois entendues leur incomplétude et leur relativité, à nous de les manipuler avec dextérité. Considérant un hectare potentiellement agricole, par exemple, on s’emploiera ainsi à définir, le plus précisément possible, son capital initial de vie, en termes de micro- et de macro-organismes. C’est de ce capital, inconnaissable [25] dans sa totalité, que le cultivateur est le khalife ; de moins musulmans traduiront par « gérant » et nous serons tous d’accord. Dès lors, l’agriculture devient, tout-à-la-fois, un art – comme elle le fût parfois dans la meilleure intelligence de la tradition – et une science du compromis, fondé sur l’hypothèse, fortement probable et de mieux en mieux cernée, que les équilibres du vivant naissent et se renforcent de sa diversité croissante. Qui s’obstinerait à prétendre, aujourd’hui, que la richesse, a contrario, ne peut se fonder que sur le déséquilibre, le combat, l'extermination ? Les impatients, assurément ; quelques incroyants, peut-être encore ; et en particulier, ceux qui n’ont et ne désirent aucun enfant…« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».

 Pensée globale : naissance ou renaissance ?

Concevoir le développement comme un dynamisme de plus en plus précis d’ajustement entre l’humain et son environnement situe d’emblée l’importance du tâtonnement expérimental dans la démarche. Celui-ci n’est plus seulement une étape préalable à partir de laquelle des lois pourraient être dégagées et transposables, plus ou moins mécaniquement, à des situations analogues, voire seulement ressemblantes, il est une nécessité permanente, tenant compte du caractère évolutif, non seulement, des ensembles vivants interconnectés mais, aussi, de ces interconnexions elles-mêmes. La durabilité du développement repose sur une gestion attentive de l’incertitude, dont la précision du zonage constitue le plus réaliste possible ajustement entre l’homme et son milieu. La proposition soulève à nouveau le problème éminemment politique des choix administratifs, entre planification et opportunisme, centralisation et (dé)localisation, réglementation et individuation. Elle lui apporte peut-être une solution.

         Car, une fois admis le principe d’incertitude et la nécessité du tâtonnement expérimental, on peut mettre en place une zone fluide d’échanges entre global et local : les informations tirées des différents niveaux de complexité s'y rencontrent, y confrontent des stratégies éventuellement concurrentes mais toujours – et les plus pieux ne manqueront pas de signaler l’exactitude islamique de ce principe de solidarité – à fin ultime de mutuel profit. La question des moyens est immédiate : il s'agit d'assurer en permanence la collecte, l'interprétation et l'exploitation des informations efficientes, ainsi que leurs interactions et les modifications stratégiques qu'elles suggèrent. Dans la pratique, une telle ambition impose, non seulement, une décentralisation, certes relative mais réelle, des compétences, des équipements et des budgets mais, aussi, une approche évolutive et participative des programmes, réglementations et autres formalités gestionnaires. Plus facile à dire qu'à réaliser...

             Situons, une fois n’est pas coutume, notre propos dans un cadre sociopolitique et prenons, ici pour simple exemple, le mode actuel d'enregistrement d'une association en Mauritanie. À Nouakchott, une seule visite bien ciblée au ministère de l'Intérieur peut suffire à l'opération et permettre à la dite association d'avoir, en dix jours, sinon cent, une existence légale. En brousse, c'est une tout autre affaire. De la mairie à la moughataa, de la moughataa au siège régional, du siège régional au ministère, c'est en centaines, sinon milliers, de kilomètres, en longs mois, sinon années, avec le risque constant de l'évaporation, plus ou moins romanesque, de tel ou tel feuillet, que l'aventure du dossier se compte... Il faut mobiliser un (ou plusieurs) homme(s), pourvu(s), au mieux, de quelque(s) liquidité(s), sinon de quelque(s) nom(s), afin d'ouvrir les portes, « motiver » les scribes et conduire, en taxi, les précieux documents. Traquée par la complication, la complexité n'est pas seulement, on s’en rend compte, un concept de facilitation...

 Se déconnecter d'habitudes mentales dégénérées – notamment des suspicions maladives : le flicage des moindres solidarités localisées devrait, aujourd'hui en Mauritanie, être relégué au placard de l'Histoire – permet d'en réactualiser de plus saines. On fait de la place, un peu, à la vie. Mieux : on s'accorde à donner du temps, et de l'argent à son étude attentive. Tel village existe à mille kilomètres de Nouakchott. Quel est le moteur de cette agglutination ? Son implication dans l'environnement local ; communal ; préfectoral [26] ? Le potentiel écologique, social et économique de ceux-ci ; de celle-là ? Son réservoir de compétences ? Ses besoins incontournables en la matière ? Comment et à partir de quelles ressources humaines concevoir la meilleure stratégie possible de développement durable pour ce lieu précis ? Où se situent les marges de manœuvres ? À quelles tranches de coûts et échéances probables ?

 L’approche administrative sectorielle de ces différentes questions – et il ne s’agit que d’un échantillon… – se heurte à d’intenses difficultés budgétaires, sans commune mesure, le plus souvent, avec les enjeux localisés, du moins à court et moyen terme. Cela signifie en clair que plus les réseaux de socialité sont lâches et limités, moins ils sont pris en compte : l’option sectorielle est concentrationnaire et accentue la désertification. Sans préjuger de nouveaux modèles gestionnaires où l’interdisciplinarité et les connexions administratives transversales, variablement ponctuelles au gré des situations, occuperont un champ opérationnel conséquent, le recours appuyé à la Société civile, ici entendue en son sens élargi d’ensemble des solidarités non-gouvernementales, constitue le lieu même des constructions transitionnelles où peut s’architecturer une approche globale des phénomènes. Comment mettre en œuvre la multiplicité de ces solidarités dispersées, pratiquement toujours sans existence légale, généralement tournées vers des centres d’intérêt notoirement immédiat, de moins en moins formées à une attention et une réflexion centrées sur l’adéquation entre quotidien et environnement ?

 L’attention se motive, la réflexion s’éduque. Et inversement. En de précédentes séries d’articles [27], nous avons souligné l’importance stratégique des écoles, dans le développement durable, tant sur le plan du contenu des enseignements que de leur forme ; et celle de l’utilisation du waqf, dans le déploiement des associations de proximité sur l’ensemble du territoire national [28]. Il s’agit, en fait, de susciter des démarches convergentes – il y en a d’autres : encore faut-il les élucider, ainsi que leurs interactions, variablement dynamiques [29] – visant à (re)générer un tissu de communications diffuses, en prise directe sur le quotidien et l’environnement immédiat. L’analogie avec l’organisation physiologique du corps humain apparaît ici signifiante. Le tissu dont il est question s’apparente au système lymphatique de notre organisme, il en a les qualités et les limites, heureusement complémentaires du système sanguin qu’on apparentera, en cette perspective, au réseau administratif gouvernemental. Entend-on la portée de la métaphore ? La démocratie directe – en son sens de pouvoir immédiat du peuple sur la gestion de son quotidien – n’est pas oppositionnelle à la démocratie différée où la médiation de l’État entend ordonner la globalité collective, le lointain spatial et temporel : elles constituent deux systèmes étroitement complémentaires dont la symbiose constitue un des fondements essentiels de la Nation.

         Il reste à déchiffrer cette fonctionnalité dans le contexte socio-historique de la Mauritanie. Quoique mes compétences en la matière soient fort limitées et, peut-être, justement parce que mon implication personnelle y est extrêmement récente, je ne crains pas d’y intégrer une dimension tribale que d’autres, enracinés de bien plus longue date ou plus obnubilés par l’exotisme d’une modernité mondialisée singulièrement prêt-à-porter, s’efforcent d’évacuer du discours – à défaut des faits, tenaces semble-t-il. Entendons-nous bien. Que le caractère partiel, normalement partial, de la solidarité de la tribu doive exclure celle-ci du champ du service public, dont le mode fondamental de fonctionnement repose sur le service au  public, à tout le public, dans la plus parfaite impartialité possible et la globalité la plus complète : c’est une nécessité citoyenne. Mais cette indisposition de nature ne l’exclue nullement du champ social. La tribu en est partie prenante, comme toute solidarité partielle ou partiale, dont l’activité et l’expression doivent être, non seulement, reconnues mais, aussi, soutenues, encouragées, dans les limites d’un cadre légal strictement impartial quant à lui. Incluse dans la vie de la cité, élément actif de la Société civile, peut-être plus temporisateur que moteur dans la construction de la modernité mauritanienne, elle y insuffle le sens d’une continuité vitale, essentielle à l’originalité que porte la Mauritanie dans le Monde. Visibles, juridiquement assumées et protégées, membres du forum citoyen, les tribus mauritaniennes constituent un répertoire précieux de stratégies typiques, pluriséculaires et d’autant plus susceptibles d’évolution positive qu’on leur reconnaît valeur et saveur.

 On saisit, à présent et probablement mieux, la globalité de cette pensée naissante dont nous avons cependant suggéré l’immémoriale vitalité, un temps sous le boisseau d’une autre notoirement plus simpliste, à défaut d’être plus simple. Il n’est pas fortuit que cette renaissance coïncide avec celle d’une pensée musulmane revivifiée, quoique encore recouverte, elle aussi, par les outrances de bornes désespérées. S’il n’y a de dieu que Dieu, Unique est Sa manifestation, dans toute sa diversité…

 Une application pratique

Appréhender en termes de globalité une situation quelconque pose quelques difficultés. On sait tout d’abord qu’on n’y parviendra jamais tout-à-fait, sans que cela ne puisse justifier le moindre laisser-aller dans l’encerclement de cette incertitude. Il s’agit dès lors de choisir une méthode suffisamment souple pour intégrer l’aléa. Suivons en ce sens l’artiste-peintre, maître incontesté en la matière : en quelques traits précis, il construit une première esquisse, suivie d’ébauches successives, présentant les grandes lignes, les contours des divers plans de la réalité en question. Puis intervient la pose des couleurs et, à cet égard, la démarche des impressionnistes, qui s’attachèrent bien plus à suggérer qu’à fixer, nous semble illustrer au mieux l’état d’esprit de la pensée globale. L’indicible est d’autant mieux ressenti qu’on a visiblement renoncé à tout dire : les concepts ne sont jamais fermés, clos sur eux-mêmes ; rien n’est figé, l’œuvre vit.

         On s’interroge, sérieusement ces temps-ci, sur une nouvelle stratégie agricole en Mauritanie et le précédent ministère de Sylli Gandéga y est pour beaucoup. Est-on cependant toujours d’accord sur les fondements de la discussion ? La critique sans concessions des errements passés ne suffit pas forcément à définir un consensus sur ces bases essentielles. À commencer par celle-ci, incontournable : c’est quoi l’agriculture ? Voici une dizaine de milliers d’années, l’humain a pris conscience d’un certain nombre de cycles vitaux l’environnant, dont il pouvait tirer, moyennant une intervention mesurée, un profit énergétique conséquent dans son économie existentielle. Conscience, cycles vitaux, mesure, profit : on aurait là une première base prospective de ce dont il est question. 

         Sommes-nous aujourd’hui plus conscients de ces cycles vitaux ? L’approche scientifique des phénomènes aurait dû nous en convaincre. Or la question se pose bel et bien : nous avons laissé, en chemin d’école, un certain nombre de ces relations ; les plus subtiles : peu ou prou quantifiables ; dont nos pères faisaient grand cas, avec un degré certain de finesse d’appréciation de leur environnement. Autrement dit : de capacité accrue de mesure dans leurs conduites agricoles. Au bout de la chaîne, la notion d’économie existentielle s’agite à son tour. Nous n’y parlons plus tous le même langage : l’économie des uns, toujours vivrière, n’est pas celle des autres, désormais monétaire. Constat de fractures à réduire et qu’on aurait bien tort de traiter de façon univoque…

 Entrevoir une agriculture tout à la fois vivrière et monétaire n’est concevable qu’en pleine mesure des cycles vitaux exploitables. On dépasse, d’une part, le strict niveau alimentaire qui caractérisait l’économie agricole fragmentée du siècle dernier. Tout devient enjeu de profit : les micro-organismes, producteurs de compost ; les plantes aquatiques qui envahissent les berges du fleuve, un capital de méthane et d’engrais verts, sinon compostables ; les criquets et autres insectes invasifs, une réserve de dérivés carbonés et vitaminés, variablement exploitables industriellement ; etc. Plantes fourragères, vétérinaires et médicinales, arbres et arbustes à tailles périodiques, fruitiers divers, ruchers soigneusement entretenus, complètent harmonieusement l’espace des productions maraîchères et céréalières… Dans cette économie de partage où le développement de la biodiversité est la clé du rétablissement des équilibres entre les espèces, le bon gestionnaire prévoit la part de ce qu’il doit à son environnement non-humain : entre un cinquième et un quart, bon an, mal an, de ses récoltes [30]. Il ne s’agit pas là d’une fatalité, c’est justice rendue, tout simplement, à ces innombrables vies qui travaillent à notre profit, tout autant, sinon plus, qu’au leur.

         Et l’on conviendra bientôt qu’une telle approche est rentable. On privilégie, en sa propre exploitation, l’étude et la pratique des luttes biologiques contre les excès de tel ou tel prédateur – et non pas systématiquement contre le prédateur lui-même – minimisant les impacts, et les dépenses, de produits à spectre incertain de toxicité ; on diversifie, dans l’espace et le temps, les cultures et les récoltes, en s’appliquant à développer des gestions coopératives avec les voisins, même éventuellement concurrents, sur les besoins nettement communautaires : entretien des infrastructures, équipements mécanisés, lutte contre les déséquilibres du biotope local, appuis techniques, etc. D’année en année, les intrants diminuent, les pertes exceptionnelles sur telle ou telle récolte compensées par les gains sur telle ou telle autre, le réseau participatif s’intensifie, allégeant progressivement les charges improductives des comptes d’exploitation.

 On ouvre, d’autre part, de nouveaux secteurs d’économie. Investir dans le monde agricole ne signifie pas forcément investir dans l’agriculture. À moins de cultiver de douteuses – et de plus en plus dangereuses – spéculations, notamment sur l’opportunité de détournement de fonds publics, on ne s’improvise pas agriculteur, encore moins chef d’exploitation agricole : la connaissance du milieu, l’amour de la terre, l’insertion réelle dans le tissu social, le goût des réalisations à long terme, sont des conditions au moins aussi importantes que la solidité du capital qu’on enterre, littéralement. Mais, dans le cadre d’une agriculture diversifiée, de multiples opportunités d’investissements se font jour, en amont ou en aval des activités agricoles proprement dites [31]. On fait, par exemple, le constat de besoins en matériel mécanisé. Très peu d’agriculteurs ont les moyens et les compétences de s’approprier ces technologies et ceux qui le peuvent s’affrontent à d’insoutenables problèmes de maintenance. Des unités de prestations de ce genre de services, judicieusement réparties dans les zones agricoles, éventuellement intéressées par une participation aux résultats des exploitations, constituent, à cet égard, un gisement de tout premier ordre.

         Il faut un peu d’imagination pour entrevoir les perspectives en aval de la démarche. Que peut signifier, par exemple, 10 000 hectares de terres cultivées à telle enseigne ? Au mieux, un espace cohérent de 30 kilomètres sur 10, serti de zones protégées, friches et villages, assuré d’au moins un axe goudronné de communications nationales, et d’un nombre suffisant de transversales « hors eau », dont l’entretien pourrait être idéalement garanti par quelques awqafs actifs en tel ou tel point de la filière agricole en question. Réseau localisé de communications, donc, dont les connexions avec la capitale peuvent être, en partie plus ou moins importante, intégrées au système patiemment bouclé. 10 000 hectares de productions diversifiées, c’est également diverses unités de transformations à plus ou moins haute valeur ajoutée : préparations galéniques à base de plantes médicinales, industries agro-alimentaires, mielleries et produits dérivés, conditionnement de bois d’œuvre et de charbon de bois, de semences certifiées, etc. Ce peut être, enfin, une zone d’appellation contrôlée où de strictes règles de conduites, agroforestière, artisanale et industrielle, garantissent un label de qualité médiatiquement exploité et ouvrant, en conséquence, les portes du marché international…

         Admettons – sans en discuter ici : c’est un débat de techniciens – qu’il existe en Mauritanie une potentialité de dix à douze de tels sites productifs. On est bien évidemment assez loin de leur réalisation effective. Pourquoi ? L’analyse doit alors se porter en amont, considérer, en chaque situation, les carences institutionnelles et infrastructurelles, les déficits et déséquilibres écologiques, les blocages fonciers et, d’une manière générale, les conflits liés aux personnes, aux groupements sociaux, aux effets pervers de politiques antérieures insuffisamment attentives aux réalités du terrain. Le travail appelle à une concertation étroite entre tous les acteurs passés, présents et souhaitables : intérêts privés et publics, organismes gouvernementaux ou non, solidarités anciennes ou plus modernes… Gageons qu’une telle approche permette de mettre en évidence, en quelques mois d’études, deux zone(s) de plus grande opportunité, réunissant les meilleures chances de réalisation de tels programmes [32], ainsi qu’une esquisse de stratégies exploratoires, où les différents partenaires puissent situer leurs efforts respectifs. Au-delà des actions d’urgence visant à soutenir un secteur agricole en perdition, c’est, probablement, une des hypothèses de travail les plus pragmatiques, en vue de la reconstruction durable du paysage mauritanien.



[1]     Un de mes tout premiers articles dans la presse mauritanienne, à l’hiver 2006, publié par l’hebdomadaire « La Tribune », sous le titre, un peu longuet : Awqafs et démocratie directe, antidote à la corruption ?

[2]     La complication procédurière garantit-elle la bonne gouvernance ? L'expérience paraît bien prouver le contraire : chaque goulot d'étranglement dispose au confinement de l'énergie, c'est à dire, en clair : à la corruption.  Dans l'embarras du choix, on citera ici les procédures d'attribution des terres fertiles du Fleuve, dans les années 80, et l'étonnant destin du Crédit Agricole (UNCACEM), si prodigieusement arrosé de fonds divers ; durant la dernière décennie, en particulier...

[3]     Car, en cette perspective, nul doute que celles des tribus douteusement enrichies au cours des dernières décennies, ne mettent bientôt un point d'honneur à œuvrer spontanément, par leurs largesses citoyennes, au rétablissement d'une réputation quelque que peu ternie aujourd’hui...

[4]     Cette dernière restriction n'exclue évidemment pas la possibilité, pour ces personnes morales, de constituer des sociétés connexes (haboussées ou non) à but clairement lucratif, afin de financer les buts non-lucratifs de l'association-mère.

[5]     Cet apport suit le statut du fonds. Évalué en termes financiers précis, il doit constamment être préservé. Cela signifie, entre autres, l'impérieuse obligation d'organiser un budget rigoureux, prévoyant l'entretien, le renouvellement éventuel et les investissements nécessaires à cette pérennité du bien.  Saisit-on ici l'opportunité offerte aux institutions de développement ?

[6]     Plus, exactement, à rémunération de capital entièrement versée à des œuvres d’utilité communautaire.

[7]     En 2006, j’étais en pleine rédaction de l’ouvrage cité dans l’avant-propos de celui-ci.

[8]     Il faut, à ce sujet, impérativement bannir le recours à de ces administrateurs bardés de diplômes et de titres, éminemment gourmands et fort avares de leur temps : l'assainissement de la République ne s'arrête pas à celui du secteur public...

[9]     On peut utiliser indifféremment les termes de waqf ou habous : dans le langage courant, ils sont synonymes.

[10]    Ou seulement du projet waqf, dans le cas des associations déjà constituées.

[11]    C'est le principe « un dossier, un fonctionnaire identifié », qui tend à se généraliser dans les administrations modernes, multipliant les con-nexions transversales entre les différents ministères et minimisant considérablement les démarches du public. Notons ici l'intéressante idée qui consiste à organiser annuellement un concours interne à chaque département, primant les fonctionnaires les plus zélés dans leur travail, sur des critères objectifs incontestables : délais de mise en œuvre, d'attente du public, classement et accessibilité des dossiers, etc.

[12]      Fort bien cerné, pour sa part, dans le CCA (bilan commun de pays) d'Avril 2002, publié par les Nations Unies, La Mauritanie à l'aube du 21ème siècle. Beaucoup d'excellents vœux, d'admirables velléités, fort décalés cependant des réalités locales : il serait à cet égard fort instructif de connaître la proportion exacte des frais d'études, de fonctionnement, de déplacements, de « suivis » et « divers » dans la comptabilité des sommes allouées à ces lendemains qui chantent…

 [13]    Publié en quatre articles, in « Horizons », été 2007.

 [14]    C’est-à-dire : le connaissable inaccessible dans les limites de l’ego, notamment en ses démarches discursives : dans l’absolu, il n’y a pas d’inconnaissable… Voir R. Guénon, notamment in « Les états multiples de l’Être », Véga, 1932, pp 91-95.

[15]    Yi King, version allemande de R. Wilhem, traduite en français par Étienne Perrot – Librairie de Médicis, Paris, 1994.

 [16]       Cité par Mohamed El Moktar ould Sidi Haïba, dans « La Tribune » de Nouakchott, n° 301 du 27/04/2006. Prématurément décédé en 2001, à l’âge de 40 ans, Habib fut le premier directeur du journal « Le Calame », lui conférant ses lettres de noblesse par la saveur, unique, de ses célèbres Mauritanides, chroniques hebdomadaires réunies et publiées en 2012, par L’Harmattan (Paris).

 [17]    Un concept de première importance dans l’appréhension de la complexité. On y reviendra plus loin.

 [18]    Descendant de la famille du Prophète (PBL).

[19]      Première publication, in « Horizons », automne 2007.

[20]      E. Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF éditeur, 1990 – J. de Rosnay, Le macroscope, Seuil, 1973 – Hall A.T., La dimension cachée, Seuil, 1971 – Les uns et les autres variablement influencés par les pensées du philosophe mathématicien Blaise Pascal (17ème siècle), d’une part, du linguiste Ferdinand de Saussure et du « tous horizons » Jacques Elull (20ème siècle), d’autre part.

[21]      Et probablement involontaire. Elle signifie, tout simplement, la concordance profonde de l’islam avec la pensée traditionnelle et constitue certainement un des fils les plus solides entre la Tradition Universelle (au sens guénonien du terme) et la modernité la plus contemporaine…

[22]      Voir  mon ouvrage : GENS DU LIVRE en Eurasie occidentale, Afrique du Nord et Sahel ; des premiers siècles de l’ère chrétienne à l’aube de la révolution thermodynamique, Éditions de la Librairie 15-21, Nouakchott, 2012, réédition 2022 aux Éditions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott – p 80.On notera à quel point cette pensée de la domination – dont René Descartes représente, en France, l’épicentre philosophique – constitue l’antithèse de celle de Blaise Pascal, né, notons-le au passage, la même année que William Petty.

[23]    À dire vrai, ce courant contestataire n’a jamais cessé d’accompagner, répétons-le, le courant dominant. Mais, depuis une trentaine d’années, sa vigueur s’est considérablement renforcée, au constat notamment des crises contemporaines…

[24]    LE WAQF […] LA MAURITANIE […] op. cité, p  71.

[25]    Dans les limites de l’ego, notamment en ses démarches discursives, rappelons la note 34 : dans l’absolu, il n’y a pas d’Inconnaissable…

[26]       Sans oublier ses éventuelles retombées inverses, du style : le découpage administratif existant est-il adapté aux réalités locales et contem-poraines ? Il faut tout-à-la-fois avoir le courage d’affronter l’inadéquat et la prudence d’au moins évaluer les probables perturbations d’un éventuel réajustement.

 [27]    Voir, plus loin dans le présent ouvrage, Mauritanie, quelle éducation pour nos enfants ?

[28]    Revoir, en particulier, Lutte contre la pauvreté ou lutte avec les pauvres ?

[29]    Et l’on se souviendra qu’en la matière, le plus est rarement facteur de mieux, sinon au prix fort : complexité croissante signifie nécessairement croissance de l’entropie…

[30]      Ce qui revient, en fin de compte, à semer entre 125 et 150 graines, au moins, pour espérer raisonnablement récolter le produit de 100…Qui doit supporter cette taxe environnementale, véritable contribution active aux équilibres de la biosphère ? On soutiendra que la réponse mériterait un traitement mondialisé, de par son impact planétaire : implication logique de la pensée globale…

 [31]      Citons, ici en prélude à la lecture de l’article complet exposé plus loin, un extrait de La Mauritanie, un espace vital : « […] de petites unités agro-forestières, bien adaptées au milieu socio-écologique, judicieusement limitées dans leurs investissements et leurs intrants, se constituent en une zone écolo-sociale favorable, jusqu’à atteindre un nombre suffisant justifiant de structures industrielles de transfor-mations ou de conditionnement. »

[32]      Où les zones déjà nanties de conventions locales (cf. les AGLC mises en place par le ProGRN de la GIZ, exemples-types des actions à mener en amont de tels projets) auront à se mettre en vedette, au moins du point de vue social.

 

 

 



 

 

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