D’ICI À LÀ - II - ENVIRONNEMENT - II-1 : La Mauritanie : un espace vital ; II- 2 : Agriculture et biodiversité ; II-3 : Approche-filière du développement durable ; II-4 : Islam et écologie

 

LA MAURITANIE : UN ESPACE VITAL [1]

 

Parmi les contraintes majeures qui affectent le développement de la Mauritanie, il en est une primordiale, insuffisamment énoncée au sein de la population qui ne mesure guère l’intensité du désastre en cours. Il s’agit de la dégradation accélérée de son milieu naturel d’existence. Chaque année, près d’une dizaine de variétés d’espèces, animales ou végétales, disparaissent de son biotope, réduisant inexorablement le potentiel vital du pays. Que faire ? Tentons, pour commencer, d’animer au sein du grand public l’essentielle prise de conscience du péril qui guette la Nation, en en dressant d’abord le constat.

Dans l’artifice de la vie citadine entretenue par des importations massives de produits de consommation courante, on ne se rend que peu ou prou compte de cette évolution. Ailleurs, c’est à dire partout où l’alimentation est chevillée au terroir, l’hémorragie est beaucoup plus vivement ressentie, immédiatement traduite en insécurités alimentaire et sanitaire : entre 1996 et 2000, si la pauvreté a globalement diminué sur l’ensemble du territoire, elle a par contre fortement progressé dans les régions agricoles, passant, dans le Guidimakha, la wilaya la plus durement touchée, de 64 % de la population à 79 %.

 Ne nous cachons pas derrière le déficit pluviométrique global du dernier quart de siècle. Sa chronicité cyclique est suffisamment connue pour mettre en cause sa gestion. Force est de constater qu’à ce jour, la modernité mauritanienne s’est révélée incapable d’ordonner ses priorités et de faire entendre cet ordre, tant sur le plan national, du plus global au plus local, que sur le plan international, notamment en matières commerciale et environnementale.

Sur le plan intérieur, on a laissé se développer un déséquilibre démesuré entre « les disponibilités fourragères et la charge animale […]. Le cheptel national compte, en 2002, 3,5 millions d’unités de bétail tropical (UBT) [quatre à cinq fois plus qu’en 1950] alors que la capacité fourragère [30 à 40 % de moins qu’en 1950] ne peut, en année normale, couvrir les besoins que de 2,5 millions d’UBT [2] ». Soit un dépassement de près d’un tiers de la limite supportable, oppressant, chaque année un peu plus et exponentiellement, un manteau végétal en appauvrissement croissant.

À peine tempéré par une réelle politique de développement d’énergies de substitution (gaz essentiellement, ne couvrant environ que 30 % des besoins), le même laisser-aller fataliste a entraîné une surexploitation, non seulement des zones boisées mais, aussi, des ligneux « hors forêt », extrêmement précieux en termes de stratégie de reconquête biologique, et dont « plus personne ne démentira l’impact sur la conservation des sols, des eaux, et de la diversité biologique, tant souterraine que terrestre et aérienne [3] ». La consommation annuelle de bois de chauffe atteint ainsi 1,5 millions de m3 pour une capacité de seulement 200 000 m3. Soit un dépassement de 750 % du potentiel renouve-lable : mesure-t-on ici l’impact sur la distribution naturelle des eaux, la dégradation des sols, les ressources écologiques, et, au bout de la chaîne, les conditions de survie des populations ?

On aperçoit maintenant l’évidence : le développement humain est inséparable du développement écologique. Ignorer cette loi élémentaire, c’est fomenter, à terme, les plus dramatiques catastrophes humanitaires, sinon les plus redoutables explosions sociales. En vérité, cette loi en révèle une autre qui détermine largement le respect de la première : l’économie est au service de l’humain ; et non pas, comme banalement aujourd’hui, le contraire… Ainsi le triptyque du développement durable apparaît dans toute sa nécessité. Il ne serait désormais plus possible d’envisager raisonnablement une quelconque « rentabilité » économique, sans tenir compte de ses dimensions écologique et sociale ; compte précis – du moins le plus précis possible – et non pas vague estimation de façade, histoire de complaire à un « air du temps » aux relents d’utopie, masquant plus ou moins pudiquement un mépris colossal envers les générations futures…

« L’engrais enrichit le père et appauvrit le fils ». Ce célèbre dicton français est à peine audible en Mauritanie où l’engrais ne prend même pas le temps d’attendre une génération pour appauvrir l’agriculteur. La fragilité des sols et des niches écologiques y réclame des systèmes adaptés et cohérents de fertilisation et de régénération, fondés sur le respect des équilibres biologiques. À cet égard, les poli-tiques productivistes, issues du « projet mécaniste occidental [4] » et imperturbablement menées depuis une trentaine d’années, ont déjà rendu leur verdict : le coût des déséquilibres générés par les aménage-ments hydro-agricoles intensifs, l’utilisation massive de produits phytosanitaires de synthèse et autres engrais chimiques, a atteint, en moins de vingt ans, un niveau tel que certains n’hésitent même plus à parler de faillite, d’autant plus sévère qu’elle affecte non plus seulement des chiffres mais, aussi et cruellement, le tissu même de la vie.

En cette optique, le premier réflexe consiste à préserver ce qui paraît préservable, dans une attitude de repli stratégique. La scission du département « Environnement » du Ministère du Développement Rural (MDR) semble relever d’une telle vision. Certes, le concept doit intégrer un domaine extrêmement vaste, dépassant largement le seul contexte rural : l’environnement urbain, le littoral et le milieu maritime, où pointent la prévention et la gestion des risques technologiques, nécessitent, bien évidemment, une attention spécifique, au plus près du chef du gouvernement : les dossiers sont très spécialisés et, en cas de crise notamment, il faut agir vite. Cependant, les notions de conservation et de protection y occupent une telle place, qu’on en oublie, souvent, le caractère dynamique de l’environnement : développer la qualité de celui-ci, en exploiter avec discernement toutes les ressources, ne cessent de constituer le socle du progrès national.

Il s’agit donc d’éviter d’inutiles conflits de points de vue. À la direction de l’Agriculture comme au ministère de la Pêche ou du Pétrole, les sections environnementales doivent occuper des passages obligés dans la conception et la mise en œuvre du moindre projet, en correspondance étroite avec les sections agricole, piscicole ou minière du secrétariat d’État à l’Environnement ; les unes et les autres inversant le point de vue de leur tutelle respective. Ainsi, la section environnementale de l’agriculture s’ingéniant à déterminer des limites conservatrices et protectionnistes à tel ou tel projet agricole ; la section agricole de l’environnement se préoccupant, pour sa part, des extensions productivistes de tel ou tel projet environnemental…

Des rencontres fécondes sont alors à même de dynamiser les compétences des uns et des autres. Si la modernité contemporaine tire l’essentiel de sa puissance de l’analyse fragmentée du Réel, multipliant les spécialisations studieuses et productives, elle en tire également sa plus grande faiblesse : la perte de la perception globale des phénomènes ; un tout n’étant, jamais, réductible à la somme de ses parties (ou des diverses mesures qu’on en fait), ni limitée la variété de ses mesures, ni ses parties totalement identifiables... Est-il nécessaire de rappeler toute l’importance de ces notions en islam ? Ainsi posé, le débat nous interpelle tous. Peut-il interpeller, également, nos partenaires économiques étrangers ? Cette question n’est pas marginale de la première. Elle en est peut-être même la prémisse. Explorons-la.

 Implications internationales

D’emblée, on ne saurait trop dénoncer les méfaits d’une industrie agrochimique internationale qui a dévasté, et dévaste encore, impunément, des millions de km2 de terres arables à travers le Monde, générant tout un imbroglio de déséquilibres écologiques qui se manifestent, notamment, par de brutales proliférations de prédateurs, non moins brutalement enrayées par de dangereuses campagnes d’extermination, induisant à leur tour de nouveaux déséquilibres : boucle infernale de désolations… Il en va de la responsabilité de cette industrie comme de celle du tabac et le temps ne tardera guère pour de retentissants procès où les énormes profits engrangés, au détriment de notre environnement, devront retourner, un tant soit peu, au service de l’écosphère et, donc, du développement humain qu'on prétendait, de plus en plus hypocritement, servir par de tels sauvages procédés. La démarche juridique relève-t-elle d’initiatives privées, nationales, ou internationales ? Il suffira, ici, de poser la question…

Entre temps, aurons-nous pris le temps d’informer le public des dangers et des solutions alternatives à ce gâchis ? Cet effort d’éducation nous replonge dans la nécessité d’émergence d’une « conscience bionationale » dont nous aurons, plus loin, à beaucoup dire [5]. Mais, avant cela, il est d’autres données exogènes qu’il convient d’élucider. Elles ont en commun, avec la première plus haut citée, un même caractère commercial, sans contenir la même directe nocivité. Leur impact relève de la seule concurrence et, à cet égard, l’ouverture de l’axe routier Nouadhibou-Nouakchott illustre éloquemment ce dont il est question.

L'agriculture mauritanienne souffrait déjà, dans son développement, de la proximité immédiate d’un marché sénégalais bien mieux structuré, par son passé, et, surtout, plus favorisé par les conditions bioclimatiques. Désormais, les produits marocains, dopés par d’avantageuses facilités douanières, enva-hissent les étals nouakchottois et les productions nationales ont de plus en plus de mal à soutenir cette double concurrence. Faut-il regretter ce désenclavement qui situerait ainsi la Mauritanie « entre le marteau et l’enclume » ? Prenons plutôt le parti du dynamisme et cherchons les qualités de cette ouverture. Il s’agit, tout d’abord, de négocier, avec nos voisins, une taxation suffisamment conséquente pour compenser nos déboires agricoles et l’investir, ensuite, dans un plan affiné de valorisation de notre terroir.

La notion de terroir occupe, dans les pays soumis à d'énormes pressions concurrentielles, un espace stratégique primordial. En France, par exemple, chaque région de production, parfois limitée à quelques dizaines de kilomètres carrés, se définit par une zone d'appellation strictement contrôlée, distinguant, à l'étal de tous les marchés, du plus local au plus international, les produits qui en sont issus. En Mauritanie, on a quelques rares exemples d'une telle politique, avec la promotion des dattes de l'Adrar, notamment. Il s'agit de généraliser cette approche, en insistant sur la qualité des produits ainsi identifiés. La politique productiviste de « l'anonymat du sol », qui consiste à traiter ce dernier comme un vulgaire support, si possible débarrassé de tout germe « pathogène » ou « non-productif », et « enrichi » par des apports nutritionnels artificiels, exogènes et normalisés, entretenant tout aussi artificiellement une production industrielle démentiellement polluante, est un non-sens écologique ; en tous cas, économi-quement aberrant en Mauritanie : nous n'avons pas les moyens d'entretenir une agriculture à fort niveau d'intrants – Dieu en soit loué ! – pour lutter sur ce terrain mortifère.

Concevons qu'une telle orientation vers la qualité nous conduit à la régénérescence de notre espace vital. Car qualité nutritive, voire gustative, et diversité biologique sont parentes proches. De très nombreux indices vont en ce sens. Les pratiques agrobiologiques ont, désormais, plusieurs décennies d'études scientifiques à leur actif et l'on constate que plus la vie est favorisée dans sa diversité, plus grandes sont les chances d'équilibre entre les espèces en « compétition » et plus leur saveur respective augmente. En fait, on se rend compte que l'entraide supère largement à celle-là, redonnant, enfin, à Lamarck ses lettres de noblesse sur Darwin [6]. Certes, le rétablissement des équilibres vitaux ne peut se faire en un jour. Certes, il implique un juste partage des récoltes, entre l'homme et son environnement, et la stratégie de reconquête doit être menée dans l'espace et le temps, avec patience, rigueur, ténacité et sens de l’équité. Mais le chemin est sûr, incha Allahou : les sacrifices qu'il demande, au départ, sont progressivement compensés par une rentabilité grandissante avec le temps : l'évolution est pratiquement inverse à l'exploitation agrochimique industrielle qui, après des débuts enchanteurs, se révèle, elle, toujours un gouffre financier à long terme [7].

L'attention à ce que l'on fait, à ce dont on s'est rendu responsable, constitue, ici comme en toute action, la clé du succès. L'étude du milieu et de ses réponses à nos entreprises, celle des possibilités et des limites d'exploitation qu'il nous offre, nous permettent d'étendre, peu à peu, le champ de notre khalifat. En cette expansion, ayons la sagesse de nous considérer, a priori, toujours ignorants de quelque chose, éternels étudiants : « Qui veut voyager loin, ménage son chameau », prudence et mesure sont mères de la sûreté. Les observations et réalisations répertoriées sur d'autres latitudes – et qu’il faut, tout de même, connaître – ne sont pas, tant s'en faut, forcément pertinentes en Mauritanie. Par contre, de nombreuses pratiques traditionnelles locales reposent sur un fond d'adaptation empirique à notre milieu : il faut les recenser avec méthode, les valoriser, en extraire le sens endogène et en diffuser, sur l'ensemble du territoire, sinon la forme – pas toujours exportable, elle non plus – du moins, toujours l'esprit. Inversement, d'autres pratiques, non moins ancestrales, ne sont plus acceptables, en l'état actuel de notre environnement et de notre développement démographique : il s'agit, ici, de faire prendre conscience de leur inadéquation et de la nécessité d'acquérir de nouvelles habitudes.

Rien ne peut mieux évoquer cette nécessité que la situation actuelle de notre bétail. « En 2002, le cheptel national », rappelions-nous en exergue de ce chapitre, « compte 3,5 millions d’unités de bétail tropical (UBT) [quatre à cinq fois plus qu’en 1950] alors que la capacité fourragère [30 à 40 % de moins qu’en 1950] ne peut, en année normale, couvrir les besoins que de 2,5 millions d’UBT ». La convocation d'une vaste consultation, conduite sous une forme participative à grande intensité, motivant tous les réseaux sociaux existants, en particulier tribaux, constitue une priorité nationale qui devrait faire l'objet d'une attention toute particulière, lors de la prochaine législature. Il y sera question de nouvelles gestions des parcours de pâture ; de la surveillance localisée de mises en défends non clôturées ; de la régénération des pâturages naturels par le labour et l'ensemencement de parcelles choisies [8], au mieux clôturées ; de la constitution de stocks fourragers, fauchés à leur meilleur taux de valeur nutritive ; du parcage nocturne des animaux, de la récupération systématisée de leurs déjections, en vue de la fertilisation naturelle des sols (compost), etc. Là encore, il est bien question d’envisager positivement le déséquilibre, afin de le bien conduire ; faire, de notre cheptel, non plus un problème mais une solution, dynamique, à la régénération de notre terroir.

Lisse et très logique, sur le papier, une telle consultation soulève pourtant une montagne de questions. Ce qui est mis en cause, ce n’est pas, seulement, une gestion technique de l’environnement mais, aussi, une organisation sociale, un rapport au temps, à l’espace et au foncier, qui relève de la vie profonde, organique de la nation mauritanienne. On se souviendra des tensions provoquées par la réforme agraire de 1983, des situations de blocages qu’elle a générées et dont certaines perdurent aujourd’hui. Comment intégrer la nécessité économico-écologique avec la préservation de la paix sociale, voire son rétablissement, là où des bouleversements intempestifs l’ont notoirement perturbée ? 

Gérance pacificatrice

En Mauritanie, c’est banalement l’urgence qui détermine l’action. Encore faut-il que celle-là soit ressentie. Or si la conscience africaine, d’une manière très générale, ne se définit d’abord qu’en fonction des stimuli instantanés de son environnement, c’est, plus strictement, l’environnement social immédiat qui construit en priorité celle du saharien. L’extrême précarité des conditions bioclimatiques commandait une structuration sociale précisément hiérarchisée et cloisonnée, assurant, en cas de crise, la survie du plus grand nombre. Conscient de son peu de pouvoir sur la Nature environnante, le Mauritanien concentre son attention sur son groupe d’origine, ses codes, ses besoins momentanés et le développement des capacités vitales de cette enveloppe protectrice. Famille normalement enchâssée dans une fraction tribale, elle-même variablement insérée au sein d’une tribu, cette unité sociale ne considère le reste du monde, à commencer par l’environnement non-humain, qu’en sa faculté de réponse la plus immédiate possible aux aléas de la survie.

C’est notamment sur cette base que s’est construit le premier niveau de la nation mauritanienne ; l’État et les organismes de coopération internationale, étatiques ou non, plus objets d’enrichissement potentiel et théâtres de toutes les luttes intertribales, voire interfamiliales, d’influence, que sujets et partenaires d’un ordre nouveau, visant à une meilleure organisation collective de la survie. Mais, avec la perception croissante de limites environnementales liées à la sédentarisation, de nouvelles formes de relations sociales se font jour : l’idée de la citoyenneté se construit peu à peu, dans la pratique quotidienne du voisinage, les interfaces spontanées entre ville et campagne, l’intensification des échanges commerciaux inter-ethniques et tribaux. Il s’agit de renforcer cette dynamique d’osmose nationale. Il existe une grande variété d’expériences communautaires à travers le pays, dont la connaissance est insuffisamment vulgarisée. Que connaît le moindre groupement maure de l’Adrar, de l’organisation foncière en pays soninké, et inversement ? Partout se pose aujourd’hui, pour en revenir à un sujet évoqué plus haut, le problème des rapports entre élevage, pâturages et agriculture, et les réponses plus ou moins traditionnelles des uns sont susceptibles d’éclairer les choix des autres. « S’entre-connaître » est devenu une condition du développement.

Les media, télévision en tête, ont, à cet égard, un rôle de premier plan à jouer. Mais l’action concrète de terrain demeure la clé réelle du mouvement. Ainsi, la multiplication de missions interrégionales, dans le cadre de la fonction publique ou des ONG, suffisamment équipées en hommes, en matériel et en temps, pour mettre en place et démontrer l’efficacité de pratiques socio-environnementales, inconnues ici mais rodées ailleurs, est de nature à stimuler vigoureusement, non seulement l’évolution des mentalités enclavées mais, aussi, les communications transversales inter-régionales, essentielles à une plus grande maîtrise des problèmes environnementaux, notamment pastoraux. De son côté, le développement pratique du concept de « l’école-laboratoire », déjà évoqué et sur lequel nous nous pencherons bientôt en détail [9], doit permettre d’amorcer, en une décennie ou deux, de véritables exploitations rationalisées du milieu ambiant, précisément adaptées aux conditions localisées du terroir. Est-il nécessaire de rappeler, ici, l’extraordinaire richesse que constitue notre jeunesse – plus de 50 % de la population – et de la force réformatrice qu’elle représente, si nous prenons la peine de bien la former, lui donner, jusqu’au plus reculé village, les capacités à bien vivre « ici et maintenant » ?

 Qu’on parle de  préservation ou de développement – la première étant, en fait, la racine irréductible, dans l’espace et le temps, du second – c’est bien l’adhésion grandissante de la Société civile qui en bâtit la réalité. Ici plus que jamais, le rôle de l’État consiste à éclairer, former, encourager, arbitrer en cas de litige, voire trancher, dans le choix des priorités et des limites. Mais, en tous les cas, son soutien, visant infatigablement à augmenter le « pouvoir du peuple » – la démocratie, en grec – ne se conçoit qu’en tant que processus évolutif, assurant, à terme, une autonomie dynamique à la diversité des solidarités sociales qui animent la vie de la nation. L’engagement initial et, si nécessaire, appuyé de l’État trouve sa réussite dans le respect de son programme de désengagement. Le concept est connu en Mauritanie : c’est, sur le plan politique, celui du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD)…

Nous l’avons souligné ailleurs [10] : la reconnaissance officielle des structures traditionnelles – notam-ment les tribus – invitées ; mieux : motivées ; à entrer dans le cadre associatif – et le développement des nouvelles solidarités citoyennes – notamment les associations de quartier ou de village – ouvrent la voie à une gestion méthodique, souple et précisément décentralisée, des rapports entre global et local. Le recours généralisé à l’IPP [11] – dont l’État, les organismes internationaux de développement et de coopération, les investisseurs nationaux, privés ou associatifs, etc., peuvent, de par la nature même de cette vénérable institution une fois contextualisée, financer les bases, dans les plus sécurisantes conditions gestionnaires possibles [12] – est de nature à promouvoir de plus en plus fins réseaux d’économie intégrée aux réalités locales, fixant notamment ex urbi (hors la ville) une proportion notable des indispensables compétences techniques, et générant un nombre grandissant de boucles de régulation, non moins indispensables à la stabilisation d’un système d’échanges équilibrés, entre ville et brousse.

Travail de longue haleine mais dont la mise en œuvre initiale ne demande pas, ici encore, des investissements colossaux. Il s’agit de travailler sur une centaine de sites, répartis entre ville et campagne, dans un esprit de tissage vital et de multiplication d’interfaces dynamiques, entre les différentes institutions gouvernementales (intérieur, développement rural, environnement, etc.), les différents acteurs internationaux d’aide au développement, les investisseurs nationaux, privés ou associatifs, les structures populaires localisées, en privilégiant la qualité des équipements, des suivis et des ajustements progressifs, plutôt qu’un étalement quantitatif dans l’espace, flou, forcément lacunaire et propice, en fin de compte, à tous les détournements. Ne nous précipitons pas : « Paris ne s’est pas construit en un jour », dit le dicton français qui doit très certainement avoir ses équivalents en hassaniya, pulaar, soninké, wolof, voire bambara, soussou ou tamachek, puisqu’il y aurait, me glisse-t-on à l’oreille, de nouvelles communautés linguistiques enracinées désormais dans la modernité mauritanienne…

Cette stratégie générale doit s’appuyer, en matière de développement rural, sur une synergie entre reconquête de la diversité biologique, interpénétration des rapports sociaux traditionnels et modernes, et rentabilité économique. À cet effet, deux options fortement complémentaires méritent une particulière attention : en un, les polycultures associées de type agroforesterie, voire agrosylvopastorales ; en deux, les filières intégrées à forte valeur ajoutée.

Entre tradition et modernité

On croit souvent le concept d'agroforesterie idée nouvelle, plus ou moins expérimentale, « hasardeuse » peut-être. Or il ne s'agit que de réécriture – ou relecture, comme on voudra – de pratiques immémo-riales, notamment en Afrique subsaharienne, repensées dans le cadre conjoint d'une exploitation rationalisée, écologique et économique de notre environnement végétal. Les techniques de culture sur brûlis en zone forestière intense (Afrique équatoriale, Indonésie, Amazonie…), les parcs traditionnels sahéliens où « les végétaux ligneux pérennes sont délibérément conservés [et exploités] en association avec les cultures et/ou l'élevage [13] », le maraîchage oasien dans les palmeraies : les exemples de telles ancestrales coutumes ne manquent pas.

Les qualités et les limites de ces vieux systèmes sont aujourd'hui assez bien connues. Ne nécessitant pas ou peu d'intrants – hormis l'achat ou l'échange, à intervalles réguliers, de semences régénératrices – ils sont éminemment adaptés à une culture vivrière, assurant, aux populations locales, sinon leur autonomie alimentaire, du moins l'appoint de précieux éléments nutritifs [14]. Les surfaces cultivées sont normalement de petite taille ; en tous cas : toujours adaptées aux capacités ouvrières et aux besoins des populations locales ; fréquemment dispersées, rendant inutile et fort peu rentable toute mécanisation conséquente. Cependant, c'est au nom de la « rentabilité », en son sens strictement quantitatif, voire monétaire, qu’on a bouleversé, sous la pression d'une industrie exogène, initialement occidentale, soucieuse d'écouler le flot de ses productions démesurées, ces systèmes dont on connaissait mal, alors, les mécanismes d'équilibre. Ce n'est que quelques décennies plus tard – de mieux en mieux, au cours de ces cinquante dernières années – qu'on en perçoit la valeur, le plus souvent – hélas ! – au vu des dégâts.

La destruction de haies et de couverts boisés au profit de monocultures intensives, l'usage inconsidéré et exponentiel de pesticides et d'herbicides fort peu sélectifs et générateurs de puissants effets pervers, ont appauvri la fertilité des sols, la diversité du vivant et détruit bon nombre de processus naturels de régulation, générant de redoutables prolifération de « nuisibles [15] ». On finance aujourd'hui, à grands frais, une lutte nationale contre les oiseaux « granivores » : il faudra, demain, financer, à plus grand frais encore, leur réintroduction, devant le déferlement des insectes, soulagés par un tel acharnement contre leurs prédateurs naturels. L'histoire est connue : elle fut l'occasion d'un des plus grands fiascos planifiés par la révolution culturelle en Chine, à la fin des années soixante...

L'agroforesterie s'inscrit, pour sa part, dans une démarche globale. S'appuyant sur la biologie, l'écologie, la sociologie et l'économie, elle entend rétablir la plus juste possible relation d'enrichissement mutuel entre l'homme et son environnement. C'est donc sous-entendre qu'à l'emploi rigoureux de méthodes scientifiques s'adjoint une pratique, quotidienne, du tâtonnement empirique, conduite dans une véritable culture de la justice, que nous qualifierons ici de khalifale, en référence à notre religion bénie. Destructeur, ou seulement négligeant, de son environnement, le musulman pèche en acte, voire en esprit, oublieux de son engagement vis à vis de l'Œuvre Divine...

Du point de vue de la méthode, il s'agit tout d'abord d'établir et d'actualiser, périodiquement, tant au niveau le plus global qu’au plus local, un état écologique, sociologique et économique des lieux ; d'organiser ensuite la gestion des déséquilibres, en privilégiant systématiquement les solutions les moins contraignantes pour l'environnement, du plus court au plus long terme possible. Ainsi, dans la lutte contre les acridiens, si l'on peut admettre l'usage de produits à forte rémanence [16] dans les zones réellement désertiques, il faut avoir l'intelligence [17] de les bannir, à proximité et au sein du moindre établissement humain ou végétal, au profit de produits à durée de toxicité beaucoup plus réduite, sinon, bien évidemment, précisément sélectifs, mettant en œuvre les plus affinés des moyens de lutte biologique.

D'un point de vue positif, c'est encourager la diversité des espèces, en privilégiant, par exemple, les interactions bénéfiques reconnues. Citons, ici, à titre d'exemple et dans le sous-ensemble « maraîchage », l'association oignon-carotte : l'un éloigne la mouche qui attaque l'autre et vice-versa. C'est aussi favoriser la formation de microclimats, par un déploiement réfléchi, dans l'espace, de buissons, taillis, épineux en tout genre et couverts de différents étages, modifiant le parcours des vents et des animaux divaguant, limitant l'érosion des sols et abritant toute une faune et une flore spontanées qui jouent un rôle capital, quoiqu'encore imprécisément connu, dans les équilibres écologiques et la fertilité de l'humus.

Faut-il rappeler la centralité de l'humus dans la construction de la richesse naturelle du sol ? C'est, à proprement parler, la terre nourricière, noire, légère, aérée, résultant de la décomposition partielle des déchets végétaux et animaux, par les microorganismes dont le taux et la diversité, au dm3, constitue le plus sûr indice de la fertilité du sol. Naturellement produite en milieu forestier dense et humide, elle est l'objet, ailleurs, de toutes les attentions de l'agroforestier conscient qui s'emploie, de mois en mois, d'année en année, à en augmenter la couche, en combinant dépôts végétaux naturels, arrosages ou irrigations, épandages de déjections d'animaux d'élevage. Parfois, lorsque l'organisation sociale permet de conduire précisément les troupeaux, ceux-ci deviennent des facteurs directs d'enrichissement : de la diversité végétale, en pâturant en des lieux choisis par le berger et disséminant, de place en place, les graines ingérées ailleurs, non digérées et contenues dans leurs excréments ; comme de l'humus, par leurs dépôts spontanés.

L'exemple concret d'un des plus vieux périmètres agroforestiers « modernes » de la vallée du fleuve Sénégal va nous permettre, enfin, de mieux cerner la stratégie de tels projets : il s'agit du périmètre d'Omar Fédior, à Dagana. D'une superficie d'environ vingt hectares, traversé longitudinalement par deux canaux principaux d'irrigation et strié régulièrement de petits canaux transversaux, il a été mis en œuvre au début des années soixante-dix. Vingt-cinq ans plus tard, la réussite était telle que le fils du propriétaire y consacre son mémoire de maîtrise en géographie (Saint-Louis, 1999). Quatre activités productives principales se sont développées au cours de cette période : le bois de chauffe (taille biennale ou triennale des différentes variétés d'acacia ceignant le périmètre, le bois d'œuvre (taille biennale des eucalyptus plantés en bordure des canaux d'irrigation), la production fruitière annuelle (notamment bananière, en retrait des eucalyptus), le maraîchage saisonnier, enfin, associant une quinzaine de différentes espèces comestibles ; le tout complété par trois autres activités bisannuelles : la cueillette de plantes médicinales, la récolte de variétés fourragères, sur les parcelles en jachère ou conduites en engrais verts, la production de miel, appelée à se développer au cours de la décennie 2000.

Il a fallu une bonne dizaine d'années d'attention, de patience, d'ordre et de prudence – un art de vivre, assurément – pour repérer les meilleures conduites, distinguer les associations les plus judicieuses (par exemple, les bananiers sous les eucalyptus : les feuilles mortes des premiers réduisant l'acidification du sol générée par celles des seconds), définir les limites et les temps d'exploitation de chaque espèce, affiner un plan de gestion écolo-économique conçu dans la durée. Avec un profit croissant : certes variables au gré des contraintes climatiques, les marges bénéficiaires n'ont cessé de progresser depuis le milieu des années 80.

Ailleurs, d’autres tentatives se sont révélées moins heureuses ; la cause la plus fréquente des échecs, sinon des piètres résultats, tournant autour du surdimensionnement des périmètres. On se souvient du colossal projet de Kankossa, en Assaba, où les Français avaient monté, en 1965, un projet « clés en main » de deux mille palmiers, agrémenté de diverses cultures maraîchères et d’une usine de transformations [18] qui fut, neuf ans plus tard, démontée et expédiée à Kaédi. Plus près de nous, les difficultés du projet de Garak, au bord du marigot, dans le Trarza, appuyé par la FAO et conduit par une coopérative féminine locale : 28 ha d’arbres fruitiers (citronniers, manguiers, goyaviers, jujubiers, etc.), irrigués par une machinerie monumentale et entourés d’eucalyptus et de prosopis. Le surcoût des équipements ; et surtout : de leur entretien ; en particulier dans le domaine de l’irrigation, a, peu à peu, limité les possibilités de développement du projet qui fonctionne actuellement, tant bien que mal, sur une quinzaine d’hectares : son fractionnement et son rééquipement ajusté permettraient probablement de relancer un processus dynamique, passablement freiné par une étude préliminaire insuffisamment soignée.

Répétons-le à l’envi : l’agroforesterie se distingue nettement de l’agriculture industrielle, du moins à son niveau le plus local. Bien adaptées au milieu socio-écologique, judicieusement limitées dans leurs investissements et leurs intrants, de petites unités se constituent en une zone écolo-sociale favorable, jusqu’à atteindre un nombre justifiant l’installation de structures industrielles de transformations ou de conditionnement [19]. Les petits projets de moins de dix hectares pullulent, fonctionnent souvent assez bien, fonctionneraient beaucoup mieux avec des appuis circonstanciés, notamment des institutions de protection de la Nature. Cela nécessite une vision dynamique de l’ensemble du potentiel national.

Intégration systémique

Si le succès du périmètre de Dagana tient à l’exemplarité de sa conduite où la confiance en Dieu, le goût de la recherche, l’attention au vivant et la patiente rigueur gestionnaire ont produit les meilleurs effets de leur conjonction, d’autres paramètres, moins personnels mais non moins essentiels, y ont également concouru. Deux d’entre eux sont à ce point incontournables qu’on les retrouvera à la base de tout plan de déploiement agroforestier, tant global que local : l’accessibilité à l’eau et l’intégration sociale.

Du point de vue hydrologique, la capacité d’irrigation par des eaux de surface est évidemment un atout considérable [20], elle n’est cependant pas indispensable. L’existence d’une nappe phréatique consé-quente à moins de dix mètres de profondeur [21] suffit généralement à l’étude de faisabilité d’un périmètre agroforestier varié. En cette situation, la plupart des espèces ligneuses adaptées à nos climats atteignent très rapidement – deux à trois années au grand maximum – les ressources hydriques du sous-sol et les efforts d’extraction de l’eau nécessaire à l’arrosage des espèces végétales de surface sont suffisamment limités pour envisager des délais raisonnables de rentabilité financière.

Cette situation hydrologique est moins rare qu’il n’y paraît. Dans le Trarza, par exemple, où, comme chacun sait, la nappe principale se situe à plus de cinquante mètres de profondeur, il existe toute une variété de petits systèmes souterrains localisés, mettant à profit telle cuvette dépressionnaire, telle couche sédimentaire argileuse cachée, et autorisant, dès lors, une exploitation, variable, du gisement aquifère : la carte hydrologique de la Mauritanie est très loin d’être achevée. Cependant, le caractère ponctuel, parfois temporaire ; en tous cas : ordinairement limité ; de ces situations nécessitent une évaluation correcte des compétitions susceptibles de se développer autour de leur exploitation. Problématique ancienne, dont la négligence, au cours du 20ème siècle, aura généré, ne l’oublions jamais, la difficile conjoncture actuelle et qu’il convient, désormais, d’analyser systématiquement, en chaque cas, selon son triptyque vital : végétal, animal et humain. On obtient, dès lors, une grille assez nette des capacités et des besoins, lisible du plus local au plus global (stratégies communales et nationales).

Laissons pour l’instant de côté les situations défavorables d’accessibilité à l’eau : elles sont, de fait, surtout dominées par des questions de cheptel, régénération des zones de parcours et redéfinition des conduites pastorales, dont nous avons tantôt esquissé les contours. Même si le système agroforestier peut avoir des accointances avec le système pastoral, nous en avons parlé et nous en reparlerons encore, il convient de les traiter séparément, sans jamais cependant perdre de vue leur possible et nécessaire harmonisation. À cet égard, on notera la nécessité pédagogique d’entretenir des lieux d’articulation minimale entre les systèmes, partout où s’est suffisamment enracinée une population pour y entretenir une école.

Nous revoilà, une nouvelle fois, plongé au cœur de l’éducation de cette « conscience bionationale [22] », dont « l’école-laboratoire », en association étroite avec un système cohérent d’IPP [23], notamment agro-pastoraux, constitue un des maîtres-mots. Nous allons mieux saisir, à présent, sa dimension réelle. Car l’entretien, dans ce cadre, de micro-périmètres – inférieurs à un hectare (en situation hydrique défavorable), ou variablement supérieurs (dans le cas contraire) – systématiquement associés à la vie d’une école (y compris en milieu urbain) et à vocation, donc, essentiellement didactique, n’exclue bien évidemment ni leur éventuelle rentabilité économique (production de plants fourragers ou médicinaux, semences diverses, etc.), ni, surtout, leur conduite rationalisée, mettant périodiquement en scène un certain nombre de scientifiques et de fonctionnaires gouvernementaux spécialisés. Ceux-ci constituent une charnière décisive, vecteurs d’informations efficientes, non seulement en direction du public local mais, aussi et à l'inverse, en direction des centres nationaux de décision.

Ces « nœuds populaires de vitalisation » sont, en effet, à penser, au niveau global, dans le cadre plus général du redéploiement du biotope mauritanien. Lieux d'informations multiples, ils sont à même, tout d'abord, de récolter la somme des expériences, recettes et tâtonnements expérimentaux localisés, susceptibles d'être analysés, critiqués et diffusés à travers le pays, via les organisations institutionnelles, gouvernementales ou non. Mais il faut, également, établir des connexions régulières avec d'autres « nœuds de vitalisation », à fréquentation beaucoup plus restreinte. Sont visés ici les centres scientifiques de gestion localisée des réserves naturelles, dont certaines, comme la zone humide de Tamoult, au Tagant, ou le parc du Diawling, au Trarza, sont inscrites au Patrimoine mondial de la biosphère, et strictement protégées [24]. Il faut étudier la possibilité d'entretenir, en bordure [25] de ces lieux extrêmement sensibles et féconds, des « nœuds scientifiques de vitalisation » où seraient conduites, dans un cadre cette fois strictement spécialisé et contrôlé, des pépinières spécifiques, alimentées en semences naturelles issues de la réserve protégée, dont les graines et les plants pourraient être diffusés, dans un second temps, en direction de tel ou tel « nœud populaire de vitalisation » réunissant, pour sa part, les conditions objectives d'implantation – ou de réimplantation – de telle ou telle variété intéres-sante d'un point de vue écologique, social et/ou économique.

On voit mieux maintenant l'impératif d'un dialogue soutenu entre le ministère de l’Agriculture et de l’élevage, notamment sa direction de l'Agriculture, et le secrétariat d'État à l'environnement. C'était, on s'en souvient, un thème important du début de ce dossier. Il s’agit de donner du corps à différents projets qui concourent en ce sens, comme, par exemple, celui du Centre de recherches sur les zones arides, qui ambitionne de répertorier, récupérer et rediffuser les espèces disparues ou en voie de disparition. S’appuyant, en particulier, sur le cadre des « nœuds de vitalisation », publics ou spécialisés, dont nous venons d’évoquer la pertinence, et réséifiant ainsi, peu à peu et le plus finement possible, sa couverture opérationnelle, un tel projet ne pourrait que favoriser des synergies motivantes entre les différentes institutions gouvernementales. On doit s’attendre, cependant, à des zones de tension « stratégique » mettant en œuvre d’inévitables différences d’approche et de gestion de l’environnement. Les uns pensent préservation et diversité ; les autres, exploitation et sélectivité. Bien gérée, cette tension dialectique nous semble pourtant féconde et de nature à préciser les plus saines limites, les plans les mieux intégrés, en situant pragmatiquement les « fourchettes viables d’intervention » de l’humain dans l’ordre saharo-sahélien de la Nature. Cela devrait aller sans dire mais ça ira beaucoup mieux en le disant.

Très concrètement, c’est, par exemple, la démarche novatrice des programmes officiels de ceintures vertes qui s’orientent, depuis le début des années 2000, vers une implication de plus en plus poussée des populations locales dans la gestion des périmètres de fixation dunaire. La FLM [26], notamment, soutient régulièrement des sessions localisées de formation où chacun peut apprendre les règles basiques : de la taille arbustière, ses techniques et limites ; de l’exploitation du bois, des feuilles, des gousses ou des graines des espèces protectrices (comme le prosopis [27]) ; des synergies associatives entre les espèces et de leur utilité pratique ; etc. Le ministère de l’Agriculture et de l’élevage aurait ici un sacré bon coup de main à donner à ces initiatives relevant a priori des compétences du secrétariat d’État à l’environnement et trouverait certainement son compte à l’étude et la diffusion de ces épiphénomènes non-négligeables dans le développement rural. Mais d’autres synergies institutionnelles, actuellement peu ou prou activées, mériteraient une attention accrue, en ce qu’elles peuvent combiner différentes approches d’une même réalité complexe. C’est particulièrement nécessaire dans le domaine du vivant, où les démarches trop cloisonnées se révèlent obstinément inadaptées ; à terme : ordinairement inefficaces. Nous allons voir l’illustration de cette nécessité, avec la construction souhaitable d’une filière nationale de plantes médicinales, exemple typique d’une filière productive à potentiel élevé de valeur ajoutée. 

Un exemple typique

Le domaine des plantes médicinales  occupe, dans les pays dits développés, un secteur écono-mique considérable. De l’utilisation directe des simples à l’industrie pharmaceutique, en passant par les huiles essentielles, charnières entre deux mondes, ce sont des milliards d’euros qui travaillent chaque année en ces agitations thérapeutiques où la concurrence, féroce, génère de rudes restrictions administratives. En Mauritanie, on est fort loin du compte. Le marché se réduit à la production annuelle, totalement aréglementée, de quelques (dizaines de ?) tonnes de variétés locales en nombre de plus en plus restreint, augmentées de quelques autres importées en majeure partie du Sénégal, du Maroc ou du Mali voisins, actuellement mieux organisés. Deux espèces – les célèbres bissap et tejmart [28] – sont d’un usage quasi-quotidien (rafraîchissements et régulation digestive) au sein de la population ; les autres alimentent, insuffisamment, les officines des tradipraticiens, qui se plaignent souvent de leur piètre qualité [29] (conditionnement défectueux ou inexistant, origine dans le temps et l’espace inconnus, mélanges probables – quoiqu’ordinairement non-identifiables – présence de corps étrangers, etc.). D’un coût très réduit, ces produits vulgaires n’ont fait l’objet d’aucune attention particulière, de leur récolte à leur commercialisation, limitant considérablement leur efficacité thérapeutique. 

Le créneau est pourtant porteur. Une fraction certes pas négligeable des consommateurs, informée des qualités des thérapies « naturelles », s’y intéresse de plus en plus et il n’est plus rare de trouver, en telle ou telle pharmacie des quartiers huppés, des produits de ce type, made in France, Espagne ou USA, censés, sinon soigner, du moins régénérer, le saharo-sahélien urbanisé. L’Association des Tradithérapeutes de Mauritanie (ATM) milite, quant à elle, pour une organisation plus rationnelle du marché et un musée des médecines traditionnelles a été mis en place à Tevragh Zeïna, parrainé par la mairie du lieu. Une cellule « Plantes médicinales », regroupant médecins modernes et traditionnels, botanistes, agronomes, spécialistes de l’environnement et du développement rural, économistes, représentants de la Société civile [30], a été fondée en 2004, tentant de dynamiser un processus de concertation initié, deux ans plus tôt, avec le « premier atelier national sur les plantes médicinales en Mauritanie [31] », où l’absence remarquée du Ministère du Développement Rural et de l’Environnement (MDRE) – les deux compétences étaient alors liées –  signalait, à l’époque, les limites d’une telle concertation. Enfin, l’idée d’une vulgarisation planifiée de médications de ce type, mettant à la portée des plus faibles revenus des produits à efficacité établie – et surtout, d’accessibilité aisée – se fraie lentement un chemin, entre les soifs de lucre monopolistique, la préservation de savoir-faire tradition-nels et les craintes d’automédications inconsidérées.

Les premières initiatives concrètes visant à mettre en place de véritables lieux de production rationalisée de plantes médicinales en Mauritanie proviennent, en fait, de rencontres inopinées entre des spécialistes étrangers, français surtout [32] – en voyage d’étude ou d’agrément, exceptionnellement dans un cadre de coopération [33]– et telle ou telle de ces volontés locales convaincues du potentiel et des besoins nationaux en la matière. Plusieurs projets sont ainsi étudiés, la plupart mis en œuvre puis vite abandonnés, sinon en danger de l’être : citons Chinguitti (1998/2000), Maata Moulana (2001/en cours [34]), Birette (à l’étude depuis 2005), Maghama (2005/en cours), Ould Yengé (intégration des plantes médicinales à un projet existant d’agroforesterie). Ils butent tous sur un triple handicap de ressources : humaines, financières et structurelles. Il faut des hommes de terrain compétents, dispo-nibles, localement implantés, autonomes [35] et assurés dans leur emploi ; il faut des budgets préalables d’équipements et de fonctionnement pour mettre en place et développer la production ; il faut enfin des structures adaptées de commercialisation permettant une rapide autonomie financière de ces lieux de production et un essor conséquent de la filière.

Parlant de construire une filière, il s’agit d’impliquer les institutions de développement, gouvernementales ou non, sans inférer inconsidérément dans les capacités de développement des initiatives privées, coopératives ou autres. Un examen attentif des problématiques rencontrées situe les zones stratégiques où semblent indispensables des interventions, ponctuelles ou plus étalées dans le temps mais toujours conçues au sein d’un processus vivant qu’on espère pérenne. Des sessions de formation, utilisant au mieux les structures localisées existantes [36] (comme, par exemple, l’atelier de transformations du jardin de Maata Moulana), couvriront un champ suffisamment large de compétences, pour déterminer graduellement, de sessions en sessions, un corps grandissant de techniciens-gestionnaires, aptes à conduire ces « nœuds de vitalisation » que sont, en fait, les jardins médicinaux. Sans présumer de leur cadre juridique, variable, notons cependant que l’option IPP peut être la structure la plus adaptée pour assurer une articulation maximale entre les institutions et les initiatives, locales, nationales et internationales.

On méditera en ce sens l'idée suivante, mise partiellement en place à Maata Moulana, visant à faire du jardin médicinal une sorte d’IPP associatif au bénéfice de l'actuel centre de santé (à vocation future d'hôpital rural). L’association locale responsable du foncier, tel et/ou tel bailleur de fonds, public ou privé, national ou international, sont appelés à former, ensemble, le conseil d'administration du jardin, réuni annuellement pour examiner le bilan d'exploitation du technicien-gestionnaire – en l’occurrence, secrétaire exécutif de l’association. Des contrats de sous-traitance avec le collège permettent de traiter une partie des lieux dans un cadre pédagogique, avec implication effective des élèves et retombées financières pour leurs coopératives scolaires. « Belle idée ! » entend-on dire partout, depuis bientôt quatre ans qu'elle s’efforce de vivre. Mais les bailleurs, du moins ceux qui ont vraiment les moyens de l'être, se font attendre, usant dangereusement les efforts pionniers, bien moins pourvus...

Supposons réglés, en chaque projet, les problèmes de sa direction, des équipements et des fonds de roulement [37]. La production se met en route et, rapidement, la question de son écoulement se pose. Sans présumer des possibilités, réduites mais pas inexistantes, d'absorption du marché local, c'est bien à l'exportation vers les centres urbains, notamment Nouakchott – mais aussi, pourquoi pas, hors du pays – qu'elle se destine. Ce n'est pas une production quelconque. Son atout : la qualité ; ses arguments : la traçabilité impeccable de ses produits, dans le temps et l'espace, leur teneur élevée en principes actifs, au mieux contrôlés par des laboratoires indépendants des centres de production ou de commercialisation [38]. Tout cela a un prix qui ne se marchande pas à l'étal du marché tieb-tieb : toute une chaîne d'activités est  en jeu.

Les dix années écoulées l'indiquent avec insistance : il faut impérativement fonder un pôle d'excellence, suffisamment focal pour dynamiser non seulement la commercialisation des produits mais aussi le développement général de la filière. Encore une fois et plus que jamais, l'option IPP va se révéler l'outil structurel le plus adapté à la rencontre de toutes les synergies, institutionnelles ou non. L'État, maître du foncier et de la réglementation, représenté en cette occurrence par la DPL, telle ou telle organisation internationale en phase sur le sujet (OMS, FLM, CARITAS, WORLD VISION, etc.), tel ou tel bailleur privé, seraient ainsi invités à former un cartel de donateurs, structuré en conseil d’administration d’une herboristerie centrale, érigée par leurs soins, où seraient commercialisés tous les produits certifiés par une même réglementation (règles de production, conditionnement, traçabilité, etc.), un même contrôle de qualité (label) et exempts de toute discrimination d’origine ; en direction des professionnels (tradipraticiens, pharmaciens agréés…), et, pour les produits de toxicité nulle, du grand public. Point-focal de la filière, l’herboristerie centrale serait également un lieu de commercialisation d’autres produits utiles : phyto-vétérinaires, phytosanitaires, agro-écologiques, semences certifiées, etc. ; d’informations (tradithérapies, médecines douces, cultures biologiques, etc.) ; voire de rencontres et de conférences…

Les bénéfices nets réalisés seront annuellement partagés, sur décision motivée du conseil d’administration [39],  entre les diverses activités de développement de la filière, présentées par une association nationale [40] regroupant tous les acteurs concernés. Le concept est nouveau et permet d’expérimenter quelques-unes des capacités du cadre IPP à appuyer le développement de la Société civile [41], en lui apportant de nouvelles sources de revenus, émergeant, non plus au vu de projets, mais bien plutôt de leurs résultats et induisant, enfin, pour de telles organisations trop dépendantes du seul financement des projets qu’elles soutiennent [42], une souplesse budgétaire dont tout le monde reconnaît, en privé, la nécessité.

Soulignons, en guise de conclusion, l’extraordinaire potentiel de plus-values – surtout lorsqu’on les envisage dans la conjonction des plans écologique, social et économique – généré par une telle approche de développement, où différents corps d’État interviennent tour-à-tour – sinon, simultanément, au gré des nécessités objectives – en un nombre restreint de situations et en concertation étroite avec les institutions non-gouvernementales, afin d'ordonner les impulsions rarement concordantes jaillies de la Société civile. « Autrefois », constatait le philosophe Tchouang-Tseu, il y a plus de deux millénaires, « la bonne conduite du troupeau consistait à ôter simplement de son chemin ce qui pouvait lui nuire ». Nous y ajouterions, aujourd'hui : à lui (ré)apprendre à choisir, lui-même, les chemins de bonne fortune. Cette vision politique serait-elle d'actualité ?

 

 

AGRICULTURE ET BIODIVERSITÉ [43]


On conçoit aisément les enjeux économiques et sociaux de l’agriculture. On néglige plus souvent sa dimension environnementale. Or son impact est sensible, non seulement sur le plan géographique mais aussi sur le vivant dans son ensemble. Le constat est désormais scientifiquement avéré : les pertes infligées par l’agriculture intensive à la biodiversité ont des répercussions néfastes sur les équilibres vitaux de la planète,  tant localement que globalement, affectant tôt ou tard les sociétés humaines et leur économie. Y aurait-il antinomie fatale entre nécessité alimentaire et gestion durable des ressources ?

Du premier sommet de la Terre, à Rio, en 1992, à la conférence internationale « Biodiversité et agriculture », les 4 et 5 Novembre derniers, à Montpellier (France), beaucoup d’eaux ont coulé sous les ponts de la biodiversité. Il y a quinze ans, on prenait publiquement conscience de la nécessité de la préserver ; aujourd’hui, on commence à comprendre son utilité agricole. Occultés par quasi trois siècles de pensée fragmentée, de vieux concepts réapparaissent ; difficilement, tant puissants apparaissent les mécanismes générés par celle-ci. La difficulté essentielle tient à ce que les outils d’investigation relèvent quasiment tous d’approches analytiques très spécialisées et parcellaires, peu ou prou intercon-nectées ni redéployées à l’intérieur d’une vision globale, tout-à-la-fois fermement centrée sur des principes fondamentaux et en constante évolution, selon les apports successifs de ces diverses recherches. Le déchiffrement des systèmes vivants, a fortiori de la biosphère dans son ensemble, est à chaque instant remis en cause par le foisonnement et l’extrême sensibilité des paramètres intervenant dans la forme et le flux de l’énergie qui déterminent ceux-là. Cependant, on commence à mieux apprécier le champ de nos inévitables incertitudes, à définir des instruments de synthèse à la mesure de celles-ci et à envisager, non plus des conclusions mais des tendances. Une révolution vitale est en marche.

L’Institut National de Recherche Agronomique (INRA), le célèbre organisme public français d’études agricoles, vient de publier une magistrale somme de quelques sept cent pages A4 [44]sur les rapports entre agriculture et biodiversité, intégrant plus de quatre mille travaux divers, menés un peu partout sur la planète ; en grande majorité, cependant, dans les pays industrialisés, notamment européens. Mais, à l’évidence, cette nouvelle synthèse – il en viendra d’autres et encore d’autres, indéfiniment plus complètes mais jamais totalement –déborde largement de ses intérêts localisés et offre des opportunités de mieux définir, à différentes niveaux et en différents espaces, des stratégies évolutives dans la gestion agricole de la biodiversité. Aussi s’appuiera-t-on amplement, en notre présent dossier, sur ce remarquable effort d’assemblage intellectuel, sans jamais oublier, nous l’espérons, la dimension à proprement parler religieuse, khalifale, du gouvernement de l’Homme sur son environnement. À cet égard, la lecture préalable de notre précédente livraison – « Islam et écologie », publié, en ces colonnes, au mois de Janvier 2008 – devrait indiquer au lecteur assidu quelques précieuses pistes de travail, incha Allahou [45]. Utile précaution, tant entremêlés apparaissent les enjeux liés à l’exploitation de la diversité du vivant.

D’emblée, on est au cœur d’une problématique fondamentale où le bien commun entre en compétition avec la propriété privée et la liberté du commerce. En 1992, apparaît le premier texte, à vocation universelle, de Droit international sur la biodiversité : la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). On y définissait cette dernière comme une « préoccupation commune de l’Humanité », délaissant le concept de « patrimoine commun de l’Humanité » auparavant en vogue, un quart de siècle durant, mais qui gênait beaucoup aux entournures. Et pour cause : la valeur commerciale et industrielle du domaine est telle que son indexation à la notion de patrimoine commun de l’Humanité serait de nature à bouleverser les fondements de l’organisation politique, juridique et économique du Monde. C’était du moins l’opinion dominante, lors des discussions cernant la CDB, et, depuis, cette tendance n’a cessé d’être renforcée. Le traité international sur les ressources phylogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, en 2001, et les rapports de synthèse du Millennium Ecosystem Assessment (MEA), en 2005, abandonnent à leur tour le « dangereux » concept. Le droit économique dominant semble bien avoir remporté une première manche sur l’inquiétude écologique montante. La raison contre le sentiment ?

Les choses sont évidemment un tantinet plus complexes. Car chaque jour que Dieu fait apporte son lot de connaissances qui convergent inexorablement vers une conception beaucoup plus globale de la présence humaine sur Terre. Le choix retenu par la CDB semblait ouvrir des perspectives de conciliation entre l’appropriation partiale de tel ou tel composant de la biodiversité, tandis que le tout de celle-ci gardait les caractéristiques d’un bien public. Or il apparaît de plus en plus indéniable que la modification de tel ou tel composant peut affecter irrémédiablement l’évolution du tout. Dans quelle proportion et quelle mesure ? À dire vrai, il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de définir des limites et des normes à des processus vitaux, très variables en temps de latence et seuil d’activité : généralement, on constate, à un moment donné, des signes irréversibles de transformation, sans qu’il soit pour autant possible de déterminer l’ensemble des facteurs et des conditions d’émergence des phénomènes observés. « Koulla yaoumi houa fi chaïne [46] », dit le Saint Coran (LV, 29), « on ne baigne jamais deux fois dans le même fleuve », énonçait, mille ans auparavant, Héraclite, répondant en écho au « rien n’est permanence » de Siddhârta Gautama : dans ce flot universellement reconnu, pourrait-on enfin s’entendre, les uns et les autres, sur l’inaliénabilité de ce bien commun et admettre la nécessité vitale d’une intelligence partagée, enfin consciente de ce que l’autonomie n’a de réalité que dans la coopération équitable, avec, en priorité, notre environnement naturel ?

Celle-ci implique, tout d’abord, un effort cognitif généralisé, mobilisant l’ensemble du corps social. Parce qu’il est un « acteur »de son propre environnement, chaque individu doit prendre conscience de son pouvoir et de sa responsabilité vis-à-vis de celui-ci. Mais, parce qu’il en est également un « passeur », en ce qu’il en subit et perçoit directement les messages, il est un réservoir primordial d’informations pour une meilleure appréciation des politiques environnementales locales et globales. La communication accrue entre le citoyen lambda, le scientifique et le politique, leur collaboration régulière, constituent des caractères spécifiques de l’approche véritablement intégrée du mutuellement profitable entre l’Homme et son milieu de vie. L’étude de l’INRA le souligne avec force : l’étendue, la profondeur, la diversité et la mobilité des fluctuations régissant les relations entre l’Homme et son environnement – dont l’exploitation de la biodiversité constitue seulement une part déjà prodigieusement complexe – ne sont que très fragmentairement étudiées, dans tant l’espace que le temps, faute d’outils et de personnel. Un exemple suffira à s’en convaincre : si la fourchette la plus probable du nombre d’espèces vivant sur notre planète se situe entre dix et trente millions – certains auteurs poussant l’estimation à plus de cent millions – les systématiciens n’en ont recensées et décrites que 1,7 million à ce jour. On imagine dès lors les carences dans l’appréciation des échanges internes de ce formidable répertoire que d’aucuns prétendent pourtant gérer au mieux, « chiffres » à l’appui…

Indispensable à une exploitation plus intégrée et durable de nos ressources vitales, la mobilisation sociale passe de toute évidence par un important investissement éducatif, engageant une dynamisation des méthodes pédagogiques, afin de placer la jeunesse en situation de partenariat actif. On reviendra plus loin sur cet aspect particulièrement intéressant en Mauritanie où la jeunesse constitue plus de 50 % de la population. Pour l’heure, voyons plutôt comment cette mobilisation, dans son sens le plus large, peut être puissamment motivée par la prise de conscience de la valeur des écosystèmes.

On parle ici de mesurer l’utilité des services rendus par la biodiversité à l’Humanité. Ainsi, la Commission européenne signale qu’en-deçà du point de vue éthique, « selon lequel nous n’avons pas le droit d’agir sur le devenir de la Nature », il faut prendre en considération le point de vue économique où, s’il est vain de prétendre assigner une valeur monétaire exacte aux services écosystémiques, « on estime toutefois qu’ils représentent [dans le seul espace de la CEE, zone privilégiée par l’étude de l’INRA – NDR] plusieurs centaines de milliards d’euros. » Cette approximation ne distingue pas les « gains réels », tirés de l’usage, généralement indirect, de la biodiversité, des « pertes épargnées » par des actions de préservation – économiquement parlant : de non-usage – de celle-ci.

Là encore, il est illusoire de tracer une frontière exacte entre des stratégies qui s’interpénètrent dans l’ordre naturel du vivant. Pourtant, elle est particulièrement prégnante dans l’ordre sociétal, dans la mesure où s’y affrontent des logiques concurrentes : commerciale, d’une part, qui pose la primauté de l’exploitation du vivant ; environnementaliste, d’autre part, qui place sa conservation en priorité ; entre lesquelles fluctuent une logique biologique – plus spécifiquement agronomique, dans le sujet qui nous préoccupe ici – dont l’intérêt pour la préservation de la biodiversité vise, en règle générale, l’amélioration des espèces, avec des motifs plus fréquemment lucratifs que réellement altruistes ; et une logique indigéniste, enfin, qui entend valoriser la qualité de terroirs spécifiques. Une révolution vitale est en marche, disais-je en exergue. C’est dans la vigueur de ces antagonismes qu’elle fraie son chemin. Sous la maîtrise de quel arbitrage ? On conçoit, en terres d’islam, que c’est au religieux d’assumer ce rôle. En a-t-il les moyens et comment y faire face, dans la complexité des forces en présence ?  

 Utiles négociations

Pénétrant plus profondément dans la complexité des enjeux, en élucidant les pistes parcourues par des chercheurs peut-être très éloignés de telles préoccupations, on parviendra, incha Allahou, à entrevoir des réponses à ces questions. Patience, donc, et creusons le champ des perspectives, à la recherche de notre trésor… L’une des pistes les plus prometteuses entend mettre en évidence l’utilité, pour l’Humanité, de la biodiversité. Dans le cas particulier qui nous préoccupe, la question peut se formuler ainsi : en quoi la biodiversité est-elle utile à l’agriculture ? S’il convient, tout d’abord, de s’entendre sur le sens à donner au mot « utilité », il reste, ensuite, avant d’envisager une quelconque réponse cohérente et argumentée, à confronter un certain nombre de paramètres : diversité des écosystèmes, diversité des espèces, diversité des variétés, interactions végétal-animal, interactions bioclimatiques, pour n’évoquer que les plus évidents aspects de la biodiversité, d’une part ; ressources, productivité, contraintes et coûts, d’autre part, en s’en tenant également à l’essentiel de la problématique agricole. L’appréciation du rapport utilitaire implique un catalogue précis de ces données – du moins le plus précis possible, relevant alors les zones inconnues ou inconnaissables [47] – dont on a constaté précédemment le très lacunaire état actuel, du côté de la biodiversité. Il apparaît que l’état des lieux n’est guère plus complet du côté de l’agriculture.

En effet, si l’on regorge d’informations sur les relations, au demeurant plus souvent théoriques que reproductibles, entre productivité et coûts directs, on ignore, largement encore et superbement, non seulement les coûts indirects sur les écosystèmes et la société humaine elle-même – pollution des nappes phréatiques, par exemple – mais aussi le poids réel des services offerts par ces écosystèmes et des contraintes exercées sur ces derniers. De même, les enjeux énergétiques ne sont généralement envisagés que dans l’incidence de la fluctuation des prix sur les marges bénéficiaires agricoles. Or la dépendance à l’égard des énergies non-renouvelables devient, de ce seul point de vue, ingérable à moyen terme : d’origine minérale, la plupart des intrants sont issus d’industries extractives et/ou chimiques grosses consommatrices d’énergie et la conception industrielle des méthodes culturales impliquent une motorisation de plus en plus poussée. Ajoutons à cela une volonté, manifeste dans les pays industrialisés, d’occulter les mécanismes lucratifs exacts qui enchaînent littéralement l’agriculture – et le milieu naturel, en conséquence – à des processus strictement industriels (raffineries des hydrocarbures, chimie minérale ou biologique, etc.), eux-mêmes extrêmement sensibles à des paramètres artificiels – les crises monétaires en sont la plus évidente expression [48] – et perturbateurs des grands équilibres de la planète : émissions de gaz à effet de serre, pollutions multiples et variablement sévères, etc. Les bilans agricoles sont ainsi banalement falsifiés par omission plus ou moins volontaire et il faut bien entendre que cette falsification est une réalité dominante de l’information agronomique depuis plus de cent ans.

Cependant, la raréfaction des ressources non-renouvelables et l’augmentation des besoins alime-taires accroissent, d’année en année, bientôt de mois en mois, le prix des intrants artificiels et il devient urgent de concevoir de nouveaux systèmes de production agricole, fondés sur la recherche constante de l’autonomie énergétique et de l’autoproduction des intrants, susceptibles de maintenir, à moindre coût écologique, un niveau productif en juste adéquation des besoins alimentaires et des espaces cultivables. On peut même aller beaucoup plus loin, en posant, non pas l’objectif du moindre coût écologique mais, plutôt, celui du meilleur profit mutuel, entre l’Homme et son environnement, le premier étant désormais pensé en partenaire du second. On peut, déjà, noter ici en quoi une telle démarche est éminemment  musulmane.

En économie islamique, en effet, « aucun gain ne peut être garanti, sans efforts ni risques, et surtout, la moindre association doit être profitable à toutes les parties engagées.  Le milieu naturel est un partenaire, à part entière, qui apporte son capital – la majeure partie, en fait, du capital vital – le travail d’une multitude d’organismes, écologiquement reliés, et qui a droit à une juste rétribution de son activité. Non seulement les prédateurs des récoltes doivent être intégrés aux plans de culture – dans des limites, certes, honnêtement mesurées – mais la richesse et la fertilité, générées par une gestion intelligente des ressources, doit être clairement partagée, avec le milieu nourricier [49] ».

La grande « nouveauté » de la démarche est qu’elle nécessite une évaluation évolutive, à défaut d’un impossible calcul, de tous les aspects en causes et en effets, réactualisant notamment de vieux travaux délaissés par la pensée mécaniste dominante, depuis au moins deux cents ans en Occident. Citons, par exemple, ceux de Sprengel ou de Thaer qui défendaient, au milieu du XIXème siècle, le rôle éminent de l’humus dans les processus de fertilisation du sol, contre l’approche chimiste de la nutrition minérale des plantes, qui fonda, elle, la filière industrielle des engrais de synthèse, au début du XXème siècle. Mais si la nécessité de nouveaux concepts génère également un puissant mouvement de recherche – l’étude de l’INRA en témoigne – encore très discret, au demeurant, dans les pays du Sud, elle valorise, certes tout aussi discrètement mais très réellement, de plus modestes réalisations longtemps marginalisées et traitées avec condescendance, sinon avec mépris, par les « spécialistes », et qui ont apporté la preuve, au quotidien, parfois depuis fort longtemps, de l’efficacité de démarches plus souvent potagères qu’agricoles, il est vrai, mais toujours prudentes, patientes, attentives à guider, sans jamais forcer, la Nature. Plusieurs de celles-ci ont eu la chance, en Occident, d’être relativement vulgarisées [50], mais il en existe beaucoup d’autres méconnues, à travers le Monde, et il est très probable que certaines de celles-ci sont efficientes, depuis des siècles.

Ce que nous venons de souligner est d’une importance primordiale, pour la conduite des politiques agricoles nationales, dans les pays où le sous-équipement technique et scientifique réduit les capacités et le champ des recherches. Il faut avoir l’à-propos de faire appel à toutes les démarches empiriquement éprouvées, localement, bien sûr, mais, aussi, en toute situation analogue ; d’en établir des collections pertinentes et de les diffuser, par des moyens simples, auprès du public et de la communauté technique et scientifique. Nous reviendrons, plus loin, dans l’appréciation des possibilités stratégiques mauritaniennes sur cet aspect, particulièrement prometteur, des synergies à développer pour une meilleure exploitation de nos ressources. S’il peut être notablement enrichi et élucidé par des interprétations spécialisées, ce répertoire constitue un atout de premier plan dans l’inéluctable révolution agricole qui verra les pays les plus « ruralisés » – hier qualifiés de sous-développés – se situer à la pointe de la recherche agronomique : l’agriculture de demain sera à nouveau affaire d’hommes, et non de mécaniques…

 L’agriculture dans la biosphère

D’une manière ou d’une autre, toutes les stratégies du vivant sont concernées par l’agriculture. Les végétaux, bien sûr ; avec ou sans racine, vaisseau ou feuille ; diversifiant, ainsi, les modes d’adaptation aux variations du milieu (chaud et froid, sec et humide, densité et pesanteur) ; les vertébrés, oiseaux, mammifères, reptiles et amphibiens ; l’immense réservoir des invertébrés qui, des insectes aux nématodes, constitue l’essentiel de la faune du sol ; les micro-organismes, enfin, en diverses symbioses, éventuellement parasitaires, souvent ambiguës, avec les uns et les autres de ceux-là, et dont la présence dans le sol constitue le fondement même de son fonctionnement biologique.

De fait, si les processus de photosynthèse des quatre éléments fondamentaux du vivant – hydrogène, carbone, azote et oxygène – se déroulent jusqu’à quelques dizaines de mètres au-dessus du sol, c’est sur guère plus de deux dizaines de centimètres, en dessous de celui-ci, que leur répondent ceux de chimiosynthèse, liant les quatre briques aux divers minéraux – fer, phosphore et soufre, notamment – indispensables au développement de la vie. Considérable, en cet espace relativement restreint, le rôle de la microflore tellurique. Elle est impliquée dans tous les cycles biogéochimiques, dans la dégradation des substances inconnues du vivant (xénobiotiques) et des toxines excrétées par celui-ci, dans les émissions de gaz, dans la structuration du sol, la décomposition de la matière organique, la croissance et la santé des végétaux. Monde souterrain, invisible, obscur, très mal connu, incroyablement dense. On estime qu’il y a entre 106 et 109 bactéries et jusqu’à 103 propagules de champignons, par gramme de sol sec, représentant plus de cinq tonnes de biomasse à l’hectare, sur à peine vingt centimètres de profondeur. Des myriades d’associations symbiotiques avec les plantes – plus de 92 % de celles-ci entretiennent des relations mutuellement profitables avec certains champignons microscopiques – interagissent avec diverses populations microbiennes, phytopathogènes ou, au contraire, phytosanitaires, inhibant ou stimulant les infections racinaires et les réactions immunologiques des plantes.

En cette prodigieuse complexité, plus la diversité est garantie, plus les chances d’équilibre global augmentent. On retrouve ici une loi de nature maintes fois constatée en divers strates de la biosphère et, plus généralement encore, de l’univers tout entier : entre deux voies distinctes, c’est une solution médiane qui tend à s’imposer. Cependant, la stabilité ne repose pas sur une simple question de nombre d’espèces. Les caractéristiques qualitatives de celles-ci, incluant des relations de dominance, mutualisme, parasitisme ou autres, ont des effets notoires sur l’organisation de l’ensemble. Certaines espèces sans apparent intérêt socio-économique direct sont ainsi écologiquement plus cruciales que d’autres, lorsqu’on poursuit des buts de rentabilité agricole, et il n’est pas toujours possible de déterminer avec exactitude l’ordre des priorités à respecter ; plus rarement encore, de cibler les interventions sur telle ou telle espèce jugée économiquement indésirable. Les dommages collatéraux sont banaux et passé un certain seuil, variable, de tolérance de l’écosystème perturbé, ses changements de composition variétale en altèrent significativement les services écologiques, sans qu’il soit possible de rétablir sa rentabilité agro-économique, sinon à terme ordinairement conséquent, voire, encore plus aléatoirement, par des moyens artificiels et de plus en plus coûteux.

À ce dernier égard, il faut se convaincre que la notion de rendement quantitatif – les fameuses tonnes à l’hectare – n’est plus le facteur décisif de la rentabilité mais seulement un de ses indicateurs. Dans l’évaluation de celle-ci, si la qualité des produits et l’incidence de cette dernière sur la santé humaine apparaissent en paramètres d’intérêt croissant, d’autres n’en suivent pas moins une courbe ascendante de pertinence. Il n’est pas tout, par exemple, de produire, encore faut-il examiner la durabilité et la stabilité de cette production. Il convient de considérer également les incidences, positives ou négatives, de cette production sur l’environnement, notamment en des points d’intérêt capital pour l’humain : la qualité des eaux, la régulation du climat ou des incendies, etc. Cependant, toutes ces considérations, en situation de pénurie diversifiée – et c’est particulièrement le cas en Mauritanie, nous y reviendrons – peuvent ne pas apparaître à leurs justes poids et mesure, en ce qu’elles relèvent, sinon du long terme, du moins d’un terme suffisamment éloigné pour être submergés par l’urgence des besoins, plus souvent fantasmée que réelle au demeurant. En ce cas de figure, c’est en se portant en amont des agrosystèmes, dans le domaine de la gestion des intrants, qu’on trouvera les arguments les plus percutants en faveur d’une intégration prioritaire de la biodiversité au service de l’agriculture.

Des études, de plus en plus précises et diversifiées, tendent ainsi à prouver qu’un sol biologiquement riche, c’est-à-dire hôte d’une grande diversité d’organismes vivants, est un indice primordial de fertilité végétale, assurant le meilleur ratio qualité-rendement/intrants exogènes. Agissant, en outre, sur la structure de celui-là, cette diversité a des effets notoires sur le cycle de l’eau, régulant notamment les phénomènes d’infiltration et d’évaporation ; sur les échanges thermiques de surface ; sur la régulation du microclimat, le contrôle des bio-agresseurs et des invasions biologiques, en symbiose avec les organismes vivants aériens – parties supérieures des végétaux, insectes, oiseaux et mammifères – selon des rapports complexes d’équilibre, abaissant le ratio pathogène/sanitogène, où, là encore, la diversité est la meilleure garantie de l’efficacité. Si, dans la plupart des cas, l’évaluation de cette diversité demande des moyens techniques rarement à la portée de l’agriculteur, il existe, par  contre, un certain nombre de paramètres objectifs qui concourent à son entretien : complexification du paysage (bosquets, haies, bordures enherbées, parcelles de petite taille), couverture permanente du sol, diversité des litières, alternance culture/pâture, compostage, rotations culturales, cultures associées et/ou intermédiaires, etc.

D’autres apparaissent d’un maniement plus délicat, sinon carrément aventureux. Ainsi, les interventions sur la chaîne trophique (alimentaire), comme l’introduction d’espèces exogènes ou, pire, les modifications génétiques. Dans le premier cas, on a vu combien une espèce « intéressante », contrôlée, en son milieu d’origine, par un certain nombre de relations indigènes, peut se révéler, hors de son biotope, extrêmement « nocive » (phénomène invasif, par exemple), sans qu’on puisse déterminer les causes exactes de ce dérèglement, ni y porter efficacement remède. Cependant des études poussées, en amont de l’intervention, peuvent souvent – notamment en ce qui concerne l’introduction d’espèces en haut de chaîne (prédateurs d’oiseaux granivores, par exemple) – réduire significativement les risques ; en tout cas, les mieux cerner. Dans le second cas, cette évaluation est d’autant moins possible qu’on agit, d’une part, à un niveau fondamental de l’organisation du vivant, où les modifications sont naturellement régulées sur de longues, voire très longues, durées et de très vastes étendues, affectant toute une complexité de relations biochimiques, et, d’autre part, sans références expérimentales adaptées à l’échelle spatiotemporelle en cause. Un organisme génétiquement modifié est, en soi, un xénobiotique dont le mode et les effets d’intégration, dans la biosphère, ne pourront être objectivement appréciés que dans plusieurs décennies, au bas mot ; plusieurs siècles, probablement ; sinon, millénaires ; avec un taux croissant d’incertitudes, quant à la réversibilité des phénomènes engendrés.

Cependant, l’impérative précaution n’exclue pas l’expérimentation. Elle la cadre assurément, en l’orientant vers les signes les plus directement appréciables par nos sens, dans des démarches mesurées, faisant la part entre nos besoins immédiats et futurs, privilégiant la stabilité par la diversité, l’observation continue et patiente, l’affinement progressif de nos connaissances et, partant, de nos capacités à mieux gérer notre environnement. Mais, pour préférable qu’elle soit, telle méthode nécessite également un certain dépassement de nos illusions sensibles. Les deux exemples suivants vont nous en faire comprendre la nécessité.

 Conduites précisément étudiées et ajustées

En 1980, dans les vergers irrigués de l’Hindu Kush, la production de pommes chuta de moitié, malgré d’importants apports d’engrais : les populations d’abeilles avaient été décimées par d’intensives campagnes insecticides, « dommages collatéraux » d’un poids considérable sur la pollinisation, un des plus remarquables services intrants fournis par les insectes apoïdes et diptères syrphidés. On a évalué, en 1997, le coût économique, à l’échelle mondiale, de la possible disparition des abeilles et autres syrphes : deux cent milliards de dollars, au bas mot. En 1970, lors de la révolution culturelle chinoise, les oiseaux granivores furent, eux, carrément déclarés ennemis de la Nation et un plan d’extermination d’une simplicité redoutablement efficace mis en place : il s’agissait de maintenir ceux-là en vol, jusqu’à épuisement total, et ordre était donné à chaque chinois, homme ou femme, enfant ou vieillard, de produire à cette fin le maximum de bruit pour les effrayer. Des centaines de millions d’oiseaux périrent ou s’exilèrent et le Grand Timonier cria victoire. L’année suivante, les champs furent hélas ravagés par un pullulement démentiel d’insectes et la Chine dut importer, à grands frais, non seulement d’énormes quantités de denrées alimentaires mais, aussi, des myriades d’oiseaux, afin de rétablir leurs populations si inconsidérément anéanties.

Ces deux exemples soulignent le danger des amalgames. On espère, à grands renforts de recherches coûteuses et extrêmement spécialisées, réduire, dans le premier cas, les dommages collatéraux, en ciblant les produits insecticides sur les espèces réputées « nuisibles », sans approfondir cependant la question essentielle mise en évidence par le second : peut-on trancher définitivement entre nuisance et bienfaisance d’une espèce vivante ? Deux conceptions s’affrontent ici. Elles s’appuient toutes deux sur des arguments objectifs, sous-tendus par des positions philosophiques ou religieuses. Examinons celles-ci avant ceux-là. À cette fin, il suffira, dans ces colonnes, de constater que le débat est tout entier contenu en islam, même s’il ne lui est évidemment pas exclusif.

Outre la constante exhortation au respect de la Création Divine – du plan le plus global à sa plus humble expression individualisée – il existe plusieurs versets, dans le Saint Coran, signalant combien l’apparente nuisance d’une situation peut se révéler, à plus ou moins long terme, une bénédiction. Même dans les plus extrêmes conflits, il convient de réserver toujours une porte de sortie, un germe de vie, un espace-temps de conciliation. Mais, dans le domaine plus précis de notre question initiale, on cite, a contrario de cet hymne à la diversité et à la justice transactionnelle, le hadith du Prophète (PBL) selon lequel certains animaux – serpent, scorpion, souris, corbeau, tique… – seraient des « malfaiteurs » et pouvaient être tués.

Selon qu’on veut, ou non, minimiser la portée de cette sentence, on cite, ou non, l’anecdote de la pollinisation manuelle des palmiers que le Prophète (PBL) avait jugé contraire à la Nature, avant de signaler, au vu des résultats négatifs, son incompétence en la matière. Preuves ayant été apportées de l’utilité écologique des animaux incriminés par le Prophète (PBL), il conviendrait donc de reconnaître le caractère relatif de leur « malfaisance ». Ne pas admettre les scorpions, les souris et les serpents dans l’environnement immédiat des hommes ne saurait ainsi ordonner leur éradication. On rejoint ici un principe, au demeurant fort controversé, de bioéthique, selon lequel toute politique d’anéantissement d’une espèce serait un crime contre la biosphère. Dans la complexité des interactions, positives et négatives, liant les composantes et niveaux du vivant, nul ne peut prédire en effet les conséquences, à long terme, de la disparition d’une espèce, y compris sur l’espèce qu’on espérait protéger par une telle radicalité. Mais comment, en cette promotion de la diversité, agir efficacement pour prévenir les épidémies et les famines ; ou, plus dramatiquement encore, répondre aux situations d’urgence ?

Le rapprochement entre les conduites agricoles et sanitaires n’est pas fortuit. Il met en évidence un même choix : agir sur l’effet ou sur la cause ? Supprimer la manifestation d’un déséquilibre ou rétablir l’équilibre ? Ersatz ou assurance de stabilité ? Perpétuellement remis en cause, l’artifice a les arguments de l’expéditif et du manufacturé : on comprend qu’il siée tant aux spéculateurs et aux industriels. Tel secteur du marché capitaliste implique un raccourcissement de la durée de vie des marchandises, tel autre, une précarité grandissante de la santé, tel autre, enfin, une croissance continue des problématiques agricoles : le développement de la production des objets, des médicaments et des intrants agricoles, constitue encore un argument décisif d’enrichissement. Mais toujours sectoriel, en cette occurrence, celui-ci, se fait, non seulement, au détriment d’un autre mais, beaucoup plus gravement désormais, à celui de l’ensemble ; creusant à terme, donc, sa propre tombe. Aussi l’alternative se réduit-elle inexorablement : plus le temps passe, plus la survie du moindre profit partiel passe par un examen attentif de la balance globale. Et plus on tarde à s’en préoccuper, plus le rétablissement de l’équilibre de cette dernière pose problème.

Dans le domaine agricole, au moins quatre strates de globalité sont à examiner. La parcelle, unité de production significative d’une certaine cohérence d’exploitation (individuelle ou communautaire) ; le paysage, qu’on entendra ici en son sens littéral de ce qui est englobé par une « vue de promontoire » ; la nation, en tant qu’unité cohérente de gestion territoriale ; la planète, enfin, en tant que répertoire exhaustif des richesses exploitables par l’espèce humaine. On remarquera immédiatement que, directement accessibles à nos sens – ce qui n’exclue bien évidemment pas leur représentation objective – les deux premières sont les plus sujettes à variations. Une même parcelle peut être, non seulement, de différente superficie, au gré des aléas fonciers, mais aussi différemment exploitée, selon les saisons et les options stratégiques de son (ses) exploitant(s). Relatif à la hauteur de son promontoire, le paysage, quant à lui, incluant éventuellement une ou plusieurs frontières territoriales, semblerait se jouer des contraintes administratives mais peut subir de profondes métamorphoses, plus ou moins contrôlées, plus ou moins contrôlables, sous l’effet des conduites, plus ou moins coordonnées, des parcelles, et/ou des aménagements, plus ou moins bien ordonnés, à l’échelle nationale ; sans parler des catastrophes, plus ou moins naturelles, susceptibles d’affecter, plus ou moins durablement, l’une et l’autre de ces strates.  Beaucoup de variables, donc…

Plus nettement définies, quant à leurs contraintes spatiales, les deux autres strates n’en sont pas pour autant mieux appréciables, du fait de leur complexité croissante. L’inconnu, qui comporte une part, indéfinie, d’inconnaissable [51], y prend une ampleur grandissante qui devrait obliger à des conduites à l’estime, raisonnant sur des évaluations d’ignorance, des comparaisons d’incertitudes, des probabilités d’enchaînements causals, incluant le plus grand nombre de paramètres objectifs, ordonnés selon des critères bio-régénérants et, conséquemment, sur les moins irréversibles choix possibles. On est loin du compte. Car plus on s’élève dans la globalité, plus la compétition s’avive, entre les différents secteurs de l’activité humaine, concentrant notamment le pouvoir des forces d’argent. D’énormes investissements, opérés sur le moyen ou long terme, selon des stratégies trop partielles – industries des intrants chimiques, manipulations génétiques, par exemple – y ont pignon sur rue, exerçant des pressions considérables sur les politiques nationales et mondiale. Si, dans les pays dits « développés », l’orientation, décisive, des consommateurs vers les produits issus d’une agriculture respectueuse du vivant, réduit significativement ces contraintes, celles-ci pèsent d’autant plus sur les pays « pauvres ». L’Afrique serait-elle ainsi condamnée à servir de marché de dernière qualité, justifiant les pires politiques agricoles ?

 Nouvelles stratégies publiques

La notion d’autosuffisance alimentaire est fondamentale dans la détermination d’une politique nationale agricole. Elle s’est pourtant traditionnellement moins posée en termes de production que de gestion des greniers. La nuance est de taille. En imposant la médiation d’une rentabilité bornée, cette stratégie a annexé l’impératif alimentaire aux contraintes mercantiles, pas forcément indexées, quant à elles, aux contraintes spatiales, climatiques et sociales, encore moins écologiques, de la Nation. Gestion du risque et de l’opportunité spéculative se sont ainsi combinées, en priorité, pour structurer l’organisation sociétale d’un des besoins les plus prégnants de l’Humanité, en contradiction fréquente avec le plus élémentaire assouvissement de celui-ci. Et, de fait, lorsqu’on meurt de faim plus facilement en brousse qu’en ville, c’est le symptôme d’une indéniable défaillance politique. Non pas, bien entendu, qu’il s’agisse d’inverser le paradigme mais, tout bonnement, d’agir en sorte de l’anéantir radicalement. Hier fatalité conjoncturelle, la famine relève aujourd’hui d’une marchandisation de la pénurie et s’opposer à celle-ci resitue immédiatement la bonne gestion des terroirs au centre de la problématique alimentaire.

On se souvient ici de la proposition de Youssouf (PBL) : en sept ans consécutifs de vaches grasses, établir, sur l’ensemble du territoire, un réseau de greniers, capable de faire face à sept années consécutives de vaches maigres. De nos jours, compte-tenu des immenses possibilités offertes par les techniques de conservation – conserveries, chaînes du froid et du sec – il est stupéfiant d’entendre parler de sur- ou de sous-production, quand il ne devrait plus être question que de ratio [52], entre intrants alimentaires et production locale, du plus humble « grenier » localisé aux répertoires régionaux et nationaux, voire continentaux, afin d’estimer les évolutions et établir des stratégies, du court au plus long terme. C’est justement cet indéniable progrès qui permet une gestion durable des ressources alimentaires, plus obnubilée par les seules conjonctures climatiques et autres démographies galopantes. On peut désormais – on le doit, en toute logique – concevoir des systèmes agricoles patiemment intégrés, périodiquement réévalués, dans une optique d’optimalisation des échanges et non plus de productivité quantitative. À cet égard, les considérations du style : « La population va doubler en tant d’années, il faut donc, d’ici là, doubler la production » ; relèvent du plus consternant simplisme, révélateur d’une ignorance d’autant plus entretenue qu’elle sert de plus sordides calculs.

Nous le soulignions en fin du précédent article. L’économie mondiale est encore dominée par les options productivistes de la seconde moitié du siècle dernier. Des investissements colossaux, notamment dans l’industrie des intrants chimiques et des manipulations génétiques – plus généralement, des très ambiguës biotechnologies – entendent conditionner, au moins durant quelques décennies, la conduite des politiques agricoles nationales, en dépit de l’accumulation des signes condamnant de telles orientations. Ceux-là rencontrent, notamment dans les pays en déficit alimentaire, des oreilles d’autant plus attentives – au demeurant, plus fréquemment intéressées, hélas, à des retombées personnelles qu’à la gestion de leur problématique nationale – qu’est moins développé le débat citoyen, visant, d’une part, à élever les connaissances en la matière et, d’autre part, à apporter des solutions adaptées au contexte. À cet égard, les décisions en haut lieu et les prescriptions réglementaires n’ont de réelles chances d’application que correctement intégrées à la vie des populations. À la dimension pédagogique, fondamentale, mobilisant tous les vecteurs éducatifs possibles, s’adjoint la participation, effective, de celles-ci, dès les premières prospectives, à l’évaluation perpétuée des politiques. Qu’on l’appelle démocratie ou concertation populaire, la méthode participative est le moteur de la gestion durable des ressources nationales, en général, et, en particulier, de leur potentiel agricole.

C’est dire que celui-ci ne peut plus être appréhendé dans ses seules dimensions de terre, travail et capital, triptyque classique des analyses politico-économiques des siècles passés. L’acquisition, le partage et l’enrichissement des savoirs, la diffusion des informations, la diversification des activités périphériques, la prise en compte du facteur énergie, l’intégration écosystémique, l’approche filière, la gestion dans le temps, enfin, mesurée et patiente, des modifications comportementales, tant productives que consommatrices : autant de paramètres, incontournables aujourd’hui, dans la conduite d’une politique agricole résolument axée sur la gestion durable des ressources naturelles, moins en termes de développement quantitatif que d’enrichissement qualitatif, au bénéfice prioritaire et effectif – palpable – des populations. Une fois encore, on voit apparaître le rôle essentiellement coordonnateur, régulateur et stabilisateur de l’État, dans un domaine où la gestion du risque est un élément décisif de l’activité. Plus qu’en tout autre secteur peut-être, la continuité et la transparence des politiques gouvernementales doivent commander aux aléas politiciens.

Implication accrue des populations, notamment de la jeunesse, dans l’appréhension des écosystèmes constitutifs de leur environnement, diversification de l’exploitation de ceux-ci – favorisant la biodiversité, vecteur de stabilité, et répartissant, dans le même mouvement, le risque climato-biologique – plus de savoirs et d’informations, moins de nécessité de capital et de terre, moins d’intrants agricoles, plus d’intrants alimentaires ? Plus de travail, moins de rendement agricole, plus de rentabilité globale ? On le voit : les paradoxes – à court terme, du moins – ne manquent pas. Il faut ici se pénétrer de l’idée que les comportements studieux et biodynamiques ont ceci en commun qu’ils sont toujours cumulatifs. Et ce, d’autant plus qu’ils convergent, les uns et les autres, vers une même nécessité que je qualifierai, en ces colonnes mauritaniennes, de khalifale. En s’épargnant une excessive dépendance envers des intrants coûteux, on s’impose en retour des recherches de savoirs et de compétences, un accroissement de main d’œuvre qualifiée, une gestion plus précise et intégrée des espaces, des temps et des stocks, à partir d’évaluations et prospectives périodiquement révisées.

À quels termes, évidemment variables, une telle démarche, centrée sur la cohérence inter-systémique, a-t-elle un impact positif sur la balance alimentaire d’une localité rurale, d’un département, d’une région, d’une nation, d’un continent, de la planète, dans son ensemble ? État de dégradation de la situation initiale, temps de latence et effets de seuil se combinent ici avec la capacité des acteurs à comprendre et accepter, tant leurs propres limites que celles des autres, partenaires ou concurrents ; à entendre leurs inéluctables liens, développer leurs indispensables échanges, mener une politique d’autonomie solidaire, à et entre tous les niveaux de nos sociétés. Sur quelles bases et dans quelle mesure les Mauritaniens peuvent-ils conduire, dans leur quotidien spécifique, une telle cohésion comportementale ?

Trois millions et demi de bouches à nourrir, en 2010 ; sept millions et demi, en 2050 : tel apparaît le challenge alimentaire mauritanien pour les prochaines décennies. Pour le mieux apprécier, on utilisera le concept des six sacs de 50 kilos : deux sacs d’au moins deux céréales (blé + riz, par exemple), un de légumes, un de fruits, un de protéines animales (viande, poissons, lait, œuf, etc.), un, enfin, d’autres produits (sucre, huile, sel, épices, thé, etc.) ; censés couvrir, harmonieusement, les besoins annuels moyens d’un individu. Notons ici combien les réflexes alimentaires mauritaniens diffèrent notablement de ces schémas sanitaires : trois sacs de céréales, trois de protéines animales (deux de lait, un de viande et poisson), deux d’autres produits (sucres au 2/3, huiles pour 1/5), légumes et fruits ne totalisant même pas un sac (fruits : à peine 3 kg par an, dont 2 de dattes) ; soit, quantitativement, plus d’un tiers que les standards sanitaires, avec, en revanche, de forts déséquilibres qualitatifs, et ceci sans compter les disparités – déjà importantes, en moyenne – entre les ménages, qui voient une famille rurale n’accéder que difficilement, à la moitié des revenus de son homologue nouakchottoise.

Admettons que les conduites alimentaires mauritaniennes puissent évoluer, d’ici quarante ans, vers le concept des six sacs. La Mauritanie pourrait-elle être alors en mesure d’en assurer, seule, la production ? Classique, la question en occulte une autre, beaucoup plus importante. Comment la Mauritanie peut-elle s’organiser pour que tout mauritanien, en quelque point du territoire national, puisse accéder à ses six sacs annuels ? En filigrane de celle-ci, apparaît une nouvelle mouture de la première : en quoi l’activité agricole fermement recentrée sur la gestion durable des terroirs peut-elle contribuer à cette organisation ? Il ne s’agit donc pas de forcer la Nature mais de l’exploiter au mieux de son potentiel, tant humain qu’écologique, dans la plus juste répartition possible des bienfaits de ce khalifat. Parviendrait-on à produire, à l’échelle nationale et à l’échéance impartie, deux-tiers des besoins alimentaires, avec un accroissement notable de la biodiversité, qu’on serait déjà dans une dynamique plus que satisfaisante, au vu de la situation actuelle [53]. Aurait-on, à cette même époque, doté le moindre établissement en brousse, des capacités à assurer durablement son accès à 80 %, au minimum, de ces besoins, qu’on aurait quasiment, résolu la problématique du développement rural mauritanien.

Il faut lire entre les lignes. Tout d’abord, il convient d’insister sur le « durablement ». Consacrer  une part, même minime, des ressources non-renouvelables – minerais, hydrocarbures… – à la capacité des populations d’assurer leur alimentation ne résout durablement cette nécessité que dans la mesure où l’on investit cette part dans la production de ressources renouvelables : connaissances, compétences, services, agriculture, élevage, foresterie, pisciculture, et, d’une manière plus générale, exploitation durable de l’environnement, qui comprend, par exemple, celui du potentiel éolien ou solaire ; deux gisements colossaux, en Mauritanie, qui pourraient bien, dans les prochaines décennies, constituer les ressources centrales du pays. Secondement, il ne faut jamais perdre de vue les lourdes contraintes qui pèsent, en milieu rural mauritanien, sur la rentabilité des activités génératrices de revenus. La gestion de l’eau en est probablement la plus importante. On l’a vu ces dernières années avec les résultats des grands projets oasiens. De gros investissements, dans le domaine notamment du pompage, ont permis d’y développer une agriculture maraîchère saisonnièrement excédentaire, sans aucune structure, malheureusement, de redistribution dans l’arrière-pays, ni même de conservation. On a dû, c’est tout de même un comble, dépenser à nouveau beaucoup d’argent, pour détruire ces excédents. Plus grave : le pompage dans les nappes a affecté à ce point leur niveau que ce sont maintenant les établissements humains eux-mêmes qui sont menacés.

En milieu rural mauritanien, partout où il existe un groupement humain, il faut donc, en amont de toute réflexion sur son développement, se poser systématiquement la question hydrique. Ressource renouvelable ou non ? Selon quelles quantités et échéances ? Existe-t-il des possibilités de rétention des eaux de ruissellement ? Dans la mesure où le sol s’y prête, quelle proportion d’eau peut-elle être affectée à des activités pastorales ou agricoles ? Parmi ces dernières, quel est le meilleur rapport entre les cultures vivrières et celles susceptibles de plus grande valeur ajoutée ? Chaque situation est un cas particulier, même s’il peut être assez souvent possible de l’intégrer dans un plan plus global d’aménagement de « paysage », concept un peu plus parlant que celui de « territoire », d’un point de vue de gestion du vivant. Nous voici, en tout cas, assez loin des préhistoriques productivités à l’hectare qui font encore les choux blancs des planificateurs de tout poil, à mille milles des humbles réalités locales qui fondent pourtant la réalité du global. On pressent ici la nécessité d’un outil souple, vivant, à l’écoute de celles-ci et cependant connecté aux diverses strates de la complexité nationale, voire continentale ; mondiale, à terme. Le lecteur se souvient-il d’un de nos précédents dossiers [54], consacrés à la gestion des solidarités de proximité ?

Rappelons-en le concept fondamental. Doter chaque groupement localisé de quarante à quatre-vingt foyers, d’une organisation autonome et solidaire de leurs trivialités communautaires quotidiennes, financée par une Activité Génératrice de Revenu Communautaire (AGRC), gérée par un CA tripartite, regroupant le propriétaire d’un foncier mis en IPP (État, collectivité locale, coopérative, particulier…), le bailleur de fonds équipant ce foncier et la solidarité locale appelée à profiter des bénéfices nets générés par cette activité. Il faut noter que c’est pratiquement le même concept que nous préconisons pour aider au fonctionnement des établissements publics d’enseignement. La remarque est d’importance : en milieu rural, où toute AGR est naturellement orientée vers l’exploitation, généralement agricole et/ou pastorale, de l’environnement, elle signifie une accointance remarquable entre les activités génératrices de savoir et la gestion du terroir. L’école est appelée à devenir ainsi un des pôles du développement durable, avec pour essentielle mission de collecter et transmettre les informations, en vue d’élever les capacités des populations locales à mieux appréhender leur terroir, ses forces et faiblesses, d’une part, et, d’autre part, participer activement aux réseaux d’infor-mations communaux, départementaux, régionaux, etc., susceptibles d’aider à la conception, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de plans cohérents d’aménagement de paysage.

Lieu de stockage et de transmissions de savoirs tous azimuts, à commencer impérativement par le milieu local, l’école devient une ruche permanente d’activités. Outre ses fonctions traditionnelles en direction de la jeunesse, orientées cependant par une acquisition des connaissances par et en direction prioritaire de l’environnement local, l’établissement d’enseignement, connecté par Internet au monde entier, reçoit les adultes hors temps scolaire pour des sessions de formation diversifiée, en relation avec un plan localisé de développement durable, évalué et mis régulièrement à jour dans une concertation soignée entre tous les partenaires. Les agriculteurs à l’école, les enfants à l’étude du milieu, les uns et les autres connectés avec les partenaires et décideurs extérieurs, eux-mêmes interactifs : on va pouvoir maintenant parler productivité et perspectives d’avenir…

 Long terme

À court et moyen terme, le potentiel agricole mauritanien est assez précisément connu : 4.900 km², répartis en 5.000 hectares de palmeraies, 135.000 d’irrigué et 350.000 de pluvial [55]. Potentiel encore très sous-exploité : si à peine 10 % de l’irrigué fut mis en culture, lors de la campagne 2006/2007, le pluvial oscille chaque année entre 20 et 40 %, au gré de la pluviométrie. La productivité quantitative à l’hectare reste assez faible : de 0,5 tonne, au pluvial, à 4 tonnes, en irrigué [56], en dépit d’un doublement – presque quadruplement, en termes monétaires – des importations d’engrais, (15.000 tonnes, pour un milliard d’ouguiyas, en 2000 ; 33.000, pour trois milliards sept cents millions, en 2006), sans parler des produits phytosanitaires et autres pesticides – on citera, ici, l’anecdote de l’achat, sous le gouvernement de Zeïn, de 10.000 litres, à 71 € le litre (25.000 MRO !), de Fenthion, un pesticide organophosphoré extrêmement toxique, utilisé dans l’irrigué comme avicide, à des concentrations (65%) près de dix fois supérieure au maximum étudié, par les experts, qui a pourtant valu, en France, l’interdiction du produit à la vente, le 31/12/2004, et à toute utilisation, sept mois plus tard…

Dans des perspectives à plus long terme – 2050 semble, à cet égard, une première échéance, assez pertinente du point de vue des cycles vitaux en question – ce potentiel doit être envisagé dans un environnement agro-porteur beaucoup plus vaste, tenant compte de trois facteurs essentiels : le potentiel arboré, la disponibilité hydrique et la capacité de la main d’œuvre. Le premier facteur part d’un constat assez évident mais qui surprend souvent : la croissance spontanée d’un arbre est un signe tangible d’un potentiel agricole. Pour comprendre la portée de cette affirmation en Mauritanie, il faut considérer la surface arborée du territoire : près de 140.000 km² ; 28 fois le potentiel agricole à court et moyen terme ; 14 %, grosso modo, du territoire. On se contentera ici de rappeler une étude sur les ligneux « hors-forêt », extrêmement précieux en termes de stratégie de reconquête biologique, et dont  « plus personne ne démentira l’impact sur la conservation des sols, des eaux, et de la diversité biologique, tant souter-raine que terrestre et aérienne [57] ».Dans un ordre d’idées voisin, on citera également la remarquable activité naturelle de l’Acacia tortilis (Talh, en hassaniya ; Siloki, en pulaar ; Diabé, en soninké) qui, non content de fixer l’azote atmosphérique – c’est une légumineuse – peut remonter, la nuit, jusqu’à 250 litres d’eau, des nappes situées à plus de trente mètres du sol, pour les redistribuer, sur une cinquantaine de centimètres de profondeur, dans l’écosystème de proximité qui constitue son biotope…

L’alternative stratégique est sans équivoque. Ou l’on continue à admettre, les yeux fermés et contre les études qui s’accumulent – en dépit de l’acharnement des trusts agrochimiques, parfois reconvertis dans les biotechnologies, à les occulter – que l’agriculture est une pure question de molécules, de support aseptisé, minéralisé, ensemencé « au mieux » d’OGM, et mécanisé à l’extrême ; ou l’on choisit l’option de la vitalisation, de l’adéquation optimale entre l’homme et son environnement, en situation de compétition/coopération, dans le respect le plus affiné possible des cycles vitaux. Les deux démarches ne sont pas compatibles. Elles peuvent être cependant obligées de cohabiter un temps, compte-tenu des contraintes actuelles, mais, en définitive, il n’en demeurera qu’une, au grand bonheur ou malheur des générations futures. Faisons le choix politique de la régénération, en plaçant l’arbre en pivot des activités agricoles. Pour la Mauritanie, c’est cette option stratégique, résolue, définitive, systémati-quement enseignée, puissamment médiatisée, assimilée, enfin, par le corps social, qui ouvre de réelles perspectives de reconquête du milieu saharo-sahélien, dans la mesure où l’on se donne des échéances adaptées au contexte écologique, social et économique, non seulement de la nation dans sa globalité mais aussi de chaque situation locale, intégrée dans un plan cohérent de paysage.

Une parcelle bien exploitée tout au long de l’année – c’est-à-dire, intégrée dans un système agroforestier, éventuellement pastoral, régulé par des rotations, bien conçues, de diverses cultures associées – doit être en permanence alimentée en eau. En climat saharo-sahélien, les techniques du goutte-à-goutte jouent à cet égard un rôle essentiel et le choix stratégique sus-évoqué y implique des investissements tactiques, tant dans la recherche que dans les équipements. En moyenne, un hectare en goutte-à-goutte consomme 3.600 m3/an, soit l’équivalent de la consommation de près de deux cent personnes (à considérer surtout en regard des 3.590 m3/an de ressources en eau renouvelables réelles par habitant, en l’état actuel du réseau [58]). Dans la plupart des situations rurales mauritaniennes, c’est dans le pompage de nappes souterraines peu ou prou renouvelables que se noue cette problématique, avec des conséquences inquiétantes pour la pérennité des établissements humains, on l’a vu avec les récents résultats des projets oasiens. À l’évidence, il faut recourir largement aux eaux de surface.

Le principe d’exploitation est simple : retenir l’eau, tout au long de son parcours, par tous les moyens possibles et imaginables, mécaniques ou biologiques. Tranchées, diguettes, seuils, mini-barrages, arbres : il s’agit de réaliser des systèmes biophiles – d’abord partout où le relief offre des possibilités de conception de « paysages hydrologiques » ; puis, en situation de faible pente, selon un réseau régionalisé de canalisations (cf., ici, les expériences espagnole ou marocaine) – laissant toujours une part conséquente aux arrangements biologiques naturels – on suscite, on détourne, on accompagne : on ne contraint pas – selon un aménagement patient de l’espace en « jeu de go [59] », sollicitant toutes les particularités – géographiques, climatiques, écologiques, sociales, économiques – de chaque lieu, afin que s’y développent ses plus optimales capacités de symbiose entre l’humain et son environnement.

On citera l’exemple de la vallée de Keïta, au Niger. La coopération italienne, la FAO, l’État nigérien et les populations locales ont unis leurs efforts, depuis le milieu des années 80, pour restaurer quelque 40.000 hectares de terres dégradées, des plateaux en amont, jusqu’au lit du moindre oued en contrebas. Deux millions de tranchées, plusieurs milliers de kilomètres de diguettes, deux-cent-cinquante seuils, quarante mini-barrages, sept cents puits… Près de vingt millions d’arbres plantés, la plupart fourragers, voire fruitiers ou médicinaux. Sous leur ombre protectrice, poussent céréales et cultures maraîchères. On récolte du miel, de la gomme arabique, toutes sortes de fruits, dans une région arrosée, en moyenne, d’à peine 400 mm d’eau par an…

Certes, il aura fallu plus de 80 millions de dollars d’investissements en un quart de siècle, pour arriver à de tels résultats, avec des phases critiques d’incertitudes variées : non seulement les arbres ne poussent pas en un jour mais les populations ont aussi besoin de temps, de formations et de débats, avant de dépasser le simple niveau de main d’œuvre d’un projet dont elles perçoivent mal l’ampleur et d’organiser, elles-mêmes, la gestion de leur environnement. Si l’exode rural s’est notablement freiné, bien des contraintes socio-économiques pèsent encore sur le développement intégré de la zone. Au Niger comme ailleurs, ce sont en définitive les populations locales qui ont à réaliser la durabilité de leur établissement. 

Le cas mauritanien

En Mauritanie, un tiers de la population active – disons trois cent cinquante mille personnes tout au plus – se consacre, en saison froide, quasiment exclusivement à l’agriculture et un pour cent de ce tiers y associe l’élevage. Compte-tenu de la sous-mécanisation du secteur, cette relative pénurie d’effectif est un des éléments explicatifs de la faible exploitation du potentiel agricole du pays : 120.000 ha, en moyenne chaque année, un quart environ du domaine réputé arable. Trois actifs à l’hectare, tout au plus, c’est évidemment bien peu lorsque les techniques de culture sont manuelles. Or c’est l’immense majorité des situations. On voit ici l’un des nœuds de la problématique agricole mauritanienne. Si plus de trois périmètres irrigués sur quatre ont une superficie supérieure à 40 ha ; sont exploités en monoculture, avec des taux de mécanisation importants ; et absorbent la quasi-totalité des investissements du secteur ; plus de neuf exploitations sur dix au plan global du domaine agricole, ont une superficie inférieure à cinq hectares et sont dépourvues de tout outil mécanisé.

Agriculture à deux vitesses irrémédiablement divergentes ? La logique industrielle des grands périmètres semble les lier à des contraintes exogènes – accroissement des intrants artificiels, dépendance énergétique et technique, OGM et biotechnologie – avec des retombées environnementales importantes. C’est l’envers d’une médaille qu’on espérait (espère toujours ?) génératrice de gros profits, pour diverses sociétés impliquées dans l’agro-chimio-alimentaire, avec lesquelles le PDIAIM (Programme de Développement Intégré de l’Agriculture Irriguée en Mauritanie) a composé dans l’espoir d’accomplir sa mission.

Mettant en avant la notion de partenariat public/privé, plusieurs projets d’envergure ont ainsi vu le jour entre 1995 et 2005, notamment par l’intermédiaire de la cellule de diversification de cet organisme et la mise en œuvre de plusieurs opérations privées de production pour l’exportation, sous l’égide, par exemple, des Grands Domaines de Mauritanie (GDM), filiale d’un des principaux groupes européens de production-distribution de fruits et légumes, la Compagnie Fruitière de Marseille ; de la SICAP, filiale du groupe mauritanien MAOA, pour l’arboriculture fruitière ; et de la SOMAGIR (Société Mauritanienne d’Agriculture et d’Irrigation), du groupe AON, pour la production maraîchère et fruitière. Des investissements importants furent partiellement réalisés, tant au niveau des équipements hydro-agricoles (installation des équipements de micro-irrigation, stations de pompage), qu’à celui des plantations fruitières, de brise-vents ou d’installations pour le conditionnement des productions destinées à l’exportation, y compris la chaîne du froid. Dans le cas de GDM, la société-mère comptait apporter son expertise, fournissant des variétés de semences spécifiques – génétiquement modifiées ? Qui contrôle en Mauritanie cette troublante question [60] ? – des produits de lutte phyto-sanitaire et des scientifiques déplacés depuis la France pour assurer un suivi technique et scientifique…

Mais, quelle que soit la séduction de leurs arguments, le danger fondamental de ces grands projets tenait à la stricte logique capitaliste qui justifiait leurs investissements, de l’ordre du million, voire de la dizaine de millions, d’euros. Celle-ci exige des résultats économico-financiers à termes définis et impose une hiérarchie de priorités partiales où le social et l’écologique n’occupent – en amont, généralement ; en aval, pratiquement toujours – que des rangs d’autant plus mineurs que la législation locale est, disons, discrète à leur égard. De fait, il manque à tous ces ambitieux programmes productifs susceptibles de modifier sensiblement les écosystèmes localisés et d’interférer, pas forcément positivement, dans le tissu socio-économique d’une région, les contrepoids d’organisations de la Société civile, impliquées, par voie de financements publics, dans le capital de ces projets ; porteuses de dimensions sociales et/ou écologiques ; actives, sur le terrain ; et entendues, en conseil d’administration de ceux-ci. À l’heure où des multinationales de l’agrobusiness, comme la redoutable Monsanto, tentent de prendre pied en Afrique subsaharienne, les pouvoirs publics devraient même solliciter systématiquement les OSC compétentes, dès les études préliminaires de ces grands projets, qui touchent, de près ou de loin, au vivant.

À l’inverse, c’est sous la contrainte des forces du marché – les consommateurs, en l’occurrence – qu’une société de l’agro-alimentaire comme la Compagnie Fruitière de Marseille peut être amenée à modifier sensiblement sa stratégie de production. Il semble bien ainsi que l’attrait du naturel, de l’alimentation « bio », ait accompli en Europe une percée décisive, impliquant une inédite attention aux systèmes agricoles biophiles. Est-ce pour cette raison que GDM envisageait un partenariat avec les paysans de la vallée du fleuve Sénégal, pour une production contractualisée selon des normes de culture ? Une convention fut signée en ce sens, entre GDM et le Ministère du Développement Rural de l’époque. GDM devait identifier les cultures et les variétés adaptées aux conditions agro-climatiques de la Vallée et destinées notamment à l’exportation ; développer des techniques optimisant les rendements et l’utilisation de l’eau d’irrigation ; évaluer le coût de l’investissement associé aux différentes techniques de production et assurer la formation de mauritaniens aux techniques de production, d’entretien du matériel, de conditionnement, de commercialisation et de suivi financier. L’agrobusiness, partenaire du développement d’une micro-entreprise agricole respectueuse de l’environnement ?

La perspective de l’idylle n’aurait surtout pas dû exclure de plus autonomes initiatives, agrémentées, si possible, de partenariats plus désintéressés. On s’en est bientôt rendu compte, après le 3 Août 2005 et le « redéploiement » du système Taya, impliquant l’abandon, remarquable et fort remarqué, de tous ces vertigineux projets privés et la disparition quasiment « magique » de leurs mirobolants financements. Les équipements de la GDM, par exemple, ont été soigneusement démontés et expédiés au Sénégal, ainsi que la société elle-même, rebaptisée Grands Domaines du Sénégal, sans guère de précision sur le remodelage de son capital…

Cependant, le développement international – mais aussi, bientôt national – d’un marché bio a valorisé et valorise, de plus en plus, la notion de terroir. Celle-ci a sauvé dans les pays fortement peuplés et industrialisés les petites productions localisées qui ont joué la carte de la qualité contre celle de la quantité. En se regroupant au sein de coopératives ou d’associations, des petits cultivateurs, unis par une charte collectivement discutée, définissant les limites, spatiales, qualitatives et parfois quantitatives de leurs productions spécifiques, se sont donnés les moyens d’exister juridiquement, de se doter eux-mêmes, ou d’obtenir de bailleurs de la Société civile, des équipements communautaires nécessaires à la production, au conditionnement, à la publicité, l’expédition et la commercialisation de leurs produits. Souvent, c’est le dynamisme même de ces regroupements qui a permis à des sociétés privées de venir s’installer en leur amont ou leur aval, afin de proposer leurs services et améliorer ainsi la compétitivité de l’ensemble.

Dans le cas de la Mauritanie, une telle stratégie n’est guère envisageable sans des actions concomitantes des pouvoirs publics et des partenaires techniques et financiers (PTF) du développement national. Dans le domaine de l’hydraulique, où vont en ce sens différents projets en cours ou en voie de financements – comme le programme d’aménagement et de mise en valeur agricole des zones humides (2009-2015) ou celui du développement durable de l’agriculture de décrue derrière barrage (2010-2013) – bien que globalement la part consacrée au secteur de l’irrigué soit encore démesurée par rapport à celles du pluvial et de décrue.

Dans le domaine de l’éducation, avec une implication, effective et suivie des établissements d’enseignement, à tous les niveaux de ces projets, et des actions continues, en matière d’alphabétisation et de participation concrète des populations locales à la conception, la mise en œuvre et au suivi/évaluation de ceux-ci. Dans le domaine des infrastructures de communication, notamment routières, afin d’initier un désenclavement effectif des zones agricoles. Dans le domaine, enfin, de la maîtrise des techniques d’agriculture biologique, avec notamment des programmes affinés d’équipements mécanisés en traction animale ou alimentés en énergies renouvelables. Il s’agit d’appréhender chaque situation locale dans sa globalité spécifique, avant de l’intégrer dans un plan d’ensemble en perpétuel affinement. Cela signifie, en particulier, une méthodologie nouvelle de concertation entre tous les partenaires au développement, actuellement bien trop souvent négligée, en dépit de grandes déclarations de principe systémique. Nous l’avancions au premier chapitre de cet ouvrage, sa nécessité s’en voit ici renforcée.

 

 

 

APPROCHE-FILIÈRE

   DU DÉVELOPPEMENT DURABLE [61]

  

Dans la complexité des paramètres influant sur le développement d’une nation, on a de grandes difficultés à concilier considérations globales et locales, court terme et long terme, rigueur administrative et adaptabilité au changement, cohérence et fluidité des échanges. Sans être une panacée universelle, l’approche-filière du développement constitue une alternative à des démarches thématiques trop souvent cloisonnées, sinon trop générales. Encore faut-il prendre la peine d’en bien cerner le genre et ses limites. Essayons d’en esquisser les concepts-clés.

La notion de filière prend naissance dans une perception globale du cycle production-consommation. On tend à y considérer tout produit commercial comme un être existentiel soumis à des conditions spécifiques d’émergence, d’élaboration, de logistique, d’usage et de recyclage, impliquant des stratégies et des bilans interactifs, sur différents plans variablement concordants : énergétique, écologique, social, économique, etc. Rapidement, la question de la concordance envahit le champ de l’analyse et la gestion des priorités se pose, avec insistance. Qui décide, oriente, harmonise, et selon quels critères ?

La question est étroitement liée au niveau concerné de complexité. Si l’on parle de la filière mondiale du poulet, par exemple, on est, bien évidemment, à un tout autre degré de concertations qu’en la région de Bresse (France), célèbre pour son label AOC [62] de production aviaire. Mais, dans l’un et l’autre cas, c’est, banalement, la compétition des intérêts partisans qui détermine les règles du jeu. Dans la mesure où celle-là assure, à tous les plans existentiels du produit en question, une représentativité conséquente dans les orientations de la filière, on distingue de mieux en mieux les possibilités d’une durabilité accrue de celle-ci, profitable, en fin de compte, à toutes les parties. Dès lors, la notion de partenariat tend à supérer à celle de compétition. On entre dans les perspectives de l’autonomie solidaire.

Mais de qui et de quoi parle-t-on, avec ces beaux mots ronflants ? Les intérêts convergents des multinationales, plus généralement des entreprises hégémoniques, référencés sur des paramètres irrémédiablement réducteurs – on le voit, journellement et de plus en plus dramatiquement, dans le gigantesque secteur des industries pétrolières et dérivées – divergent banalement de ceux de la planète Terre, de sa biosphère, de ses habitants, imposant aux États, aux peuples et à leur environnement, des contraintes dont le terme de rentabilité se raccourcit d’année en année. À l’évidence, il manque une régulation humainement réfléchie des balances compétition/solidarité, connectivité/autonomie, incluant tous les niveaux existentiels des phénomènes, naturels ou non, convoqués par nos activités laborieuses. Se dispenser d’un tel contrôle, c’est abandonner aux processus naturels de régulation vitale – « dérèglements » compensateurs divers : climatiques, électromagnétiques, biologiques, voire sismiques – la tâche de remettre de l’ordre sur notre planète, au prix probable d’une grandissante part, tant qualitative que quantitative, de notre Humanité.

L’alternative, on s’en rend compte avec une acuité croissante depuis à peine une cinquantaine d’années, sollicite toute une complexité d’actions et de réactions, diverses et concertées, du plus local au plus global – et inversement – mettant en réseaux, emboîtés et interactifs, des organisations de plus en plus précisément adaptées à des conditions d’existence diversifiées et réévaluées, sinon en permanence, du moins périodiquement, à l’aune des équilibres fondamentaux du vivant. Cette référence appuyée au vivant est le paramètre véritablement nouveau qui distingue l’approche-filière contemporaine de sa consœur des années cinquante et antérieures, quasiment entièrement fondée, quant à elle, sur une vision mécaniste et quantitative de la richesse et de son accroissement. Cette courte vue considérait, dans la logique de ses assises, la concentration du pouvoir – capital, décision, communication – en des espaces-temps restreints et standardisés, comme condition intrinsèque de l’ordre et du développement. Or, l’effondrement est un corollaire – un avatar, est-on tenté de dire – de la concentration, d’une manière analogue aux rapports entre complexité et entropie : plus on accumule d’énergie ou d’informations au sein d’un même système, plus s’élèvent les potentialités de litiges, l’instabilité augmentant asymptotiquement jusqu’à atteindre un point de rupture décisif.

On comprend mieux, à présent et a contrario, le sens de l’autonomie solidaire. Plus elle se développe aux étages inférieurs de la complexité, plus s’allègent les rôles et la lourdeur des étages supérieurs : le développement naît d’une connectivité accrue et diversifiée, d’une fluidification des échanges d’énergie, d’une répartition soigneusement réfléchie des masses et des responsabilités. À la différence des modèles mécanistes, où l’enrichissement des uns signifiait fatalement l’appauvrissement des autres, on perçoit que l’équité – qui n’est évidemment pas uniformisation égalitariste – est, objectivement, une nécessité rationnelle du développement durable. Le partage est la condition même du progrès.

 Cette conviction nous permet d’envisager sous une tout autre perspective les aspects techniques de l’approche-filière. Trois clés d’analyse sont à chaque niveau constamment sollicitées : que doit-on produire ? Comment ? Quand et dans quelles limites ? En développant la prospection de ces questions sur différents plans – en particulier : écologique, social, technologique et économique – on voit rapidement apparaître les zones de convergence, de conflits potentiels et de négociations impératives, indiquant les meilleures pistes de bonne gouvernance de la filière ainsi interrogée. Essentielle à la durabilité de cette dernière, cette phase implique des coûts élevés qui posent la problématique des répartition des efforts entre producteurs et consommateurs, de l’implication des services publics et associatifs, locaux, nationaux, voire internationaux, adaptée à l’impact réel de la filière dans l’environ-nement, au sens le plus large du terme, tenant compte de la multiplicité de ses plans d’intervention.

L’élévation de la qualité constitue, dès lors, la voie naturelle de la bonne gouvernance d’une filière. Elle en est tout à la fois l’objet, le moteur et le fruit. Aussi donne-t-elle, presque toujours désormais, matière à contrat – on parle souvent de « Charte de qualité » – liant tous les acteurs d’une même chaîne de production à des protocoles garantissant, aux consommateurs, un produit remarquable, rigoureusement tracé dans son périple, contenu dans les plus précises limites possibles, justifiant objectivement un coût en rapport des attentions fournies. Originalité du terroir et des matières premières, assurance des approvisionnements, élévation et interconnexion constante des compétences et des innovations, codification des flux de connaissance, ajustement réfléchi de l’offre à la demande, limitation des gâchis, marketing ciblé, l’approche-filière répond d’autant mieux à la problématique contemporaine que tous les secteurs de la vie sociale sont conviés à y participer : le secteur privé, en tous les points de la chaîne, de l’extraction des matières premières au recyclage des déchets ; le secteur associatif, dans la gestion de la coopération et de la cohésion des intérêts privés ; le secteur public, enfin, dans la réglementation des codes et la régulation générale du marché.

Démarche de riches ? L’opinion selon laquelle les pauvres n’auraient pas les moyens de se payer le « luxe de la qualité » est l’argument favori des profiteurs de tout poil, qui misent sur le n’importe quoi, à bas prix et durée de vie minimale, sans aucune considération de santé publique ni de salubrité environnementale. Celle-là n’abuse que les ignorants. Sitôt que s’élève la conscience des peuples – et la responsabilité de leurs élites est ici clairement en cause – ceux-ci entendent vite leur intérêt à acheter mieux en achetant moins. Seraient-ils également convaincus des possibilités qu’offre leur propre environnement, fût-il des plus rudes ou dégradés, à générer des qualités distinctives, à la portée de leur génie spécifique, que la lutte contre la pauvreté triompherait bien vite. La Mauritanie est un désert, dit-on : des trésors y reposent, ni toujours enfouis, ni invariablement morts…

 Concepts-clés

Comment contextualiser les concepts-clés de l’approche-filière du développement ? Une fois n’est pas coutume, on abordera l’interrogation à partir d’aspects techniques, dont on a donné tantôt trois clés incontournables d’analyse. J’avais, tout d’abord, pensé à les réunir en une seule batterie de questions, afin de bien cerner leur globalité : que, comment, quand et dans quelles limites doit-on produire ? Mais je l’envisageais, alors, dans un cadre beaucoup plus général. Aujourd’hui, j’hésite à utiliser le verbe « devoir », songeant à l’inadéquation de ce verbe dans le contexte mauritanien. On lui préférera donc le verbe « pouvoir » : que, comment, quand et dans quelles limites peut-on produire ? C’est dire à quel point les contraintes environnementales, sociales et économiques pèsent lourd, en Mauritanie, dans l’éventail des choix productifs.

Paradoxalement, cela peut être d’un grand intérêt stratégique, sitôt qu’on envisage ces contraintes si spécifiques comme autant d’atouts d’originalité. Que possédons-nous que les autres n’ont pas ? Dépassant le cadre simpliste des « matières premières » qui obnubile trop souvent l’esprit, interrogeons-nous sur tout ce qui différencie notre environnement, notre culture, notre développement, et envisageons-le en potentialités d’échange. En quoi, par exemple, la siccité de notre air peut-elle être un avantage productif ? Cette simple question peut être le point de départ d’une réflexion prospective autour d’un élément fondamental d’une filière – séchage ou collage, en l’occurrence – ailleurs contraignant, ici simplifié. Que sécher ? Que coller ? Avec quelle colle ? Peut-on la produire en Mauritanie ? À quel coût écologique ? Quelles compétences techniques ? Etc. Lucidité, pragmatisme, créativité, prudence et anticipation sont convoqués à tel exercice, singulièrement ouvert – de plus bornés diraient : réduit – par l’extrême jeunesse de l’appareil productif mauritanien. Pour construire une maison neuve, un terrain nu offre toute autre perspective qu’un terrain déjà bâti…

Dans un ordre d’idées voisin, interrogeons-nous sur les différents élans des marchés de consommation, à commencer, bien évidemment, par les plus avides, les mieux pourvus en monnaie d’échange. Naturel, pureté et authenticité, notamment, sont aujourd’hui les tendances marquantes de la qualité, dans les pays industrialisés où, sous l’effet remarquable de fines campagnes publicitaires, ces nouveaux paramètres semblent magnifiés par leur rareté, réelle ou savamment orchestrée. Or des espaces vierges, des environnements non-pollués, la Mauritanie n’en manque pas. Saisit-on ici l’opportunité d’exploitation durable de nos zones rurales, en les orientant fermement vers une gestion prioritairement écologique de leurs terroirs ? Certains organisent déjà des filières touristiques en ce sens mais il faut élargir la vue. Demain, les producteurs de viande, par exemple, qui auront su investir dans des filières d’alimentation animale et de produits vétérinaires « bio », seront à la pointe qualitative du marché mondial…

Cependant, si l’exportation de produits finis constitue le beurre du développement, le marché intérieur n’en demeure pas moins le lait. Le principal intérêt d’une filière ne se situe pas dans sa capacité à attirer des devises mais bien dans celles à fournir directement de l’activité, dynamiser et multiplier les échanges internes. La réflexion doit se porter, tout d’abord et encore une fois, sur l’ensemble du système envisagé. La problématique des intrants est, à cet égard, un signe particulièrement parlant. En telle ou telle filière, quelle est leur part dans le bilan global des activités ? Soulignons-le encore : le calcul de cette part ne se limite pas à son impact financier immédiat. Il doit tenir compte de la gestion de ces intrants dans le temps ; notamment leur entretien, renouvellement et recyclage ;ainsi que des nuisances environnementales éventuelles. Dans quelles mesures et échéances, sous quelles conditions, l’existence de ces intrants peut-elle être entièrement assumée par le pays ? Dans le choix d’une filière, il faut toujours privilégier celle dont on peut, à terme le plus court possible, contrôler le plus grand nombre de paramètres

Diminuer la charge des intrants en augmentant l’activité interne, sans préjudice de la qualité, c’est augmenter la compétitivité, sinon à coup sûr, du moins très probablement ; en tous cas, renforcer les capacités du marché intérieur. Or à peine vingt mille foyers mauritaniens – moins de 4 % de la population – ont actuellement l’aisance de se poser banalement des choix de qualité. En dépit de l’étroitesse apparente du marché total – guère plus de trois millions d’habitants sur tout le territoire mais sept millions et demi, à l’horizon 2050 – les marges de manœuvre dans le développement de filières ne sont donc pas minces. Elles imposent seulement un déploiement toujours contenu, graduel, à l’écoute attentive de l’évolution des capacités du marché. Produire juste le nécessaire, voire un poil moins, est, chacun le sait, une stratégie de base dans la gestion de la rareté ; en Mauritanie, c’est une sagesse qui relève bien plus des nécessités sociales. La remarque est d’autant plus pertinente, sur le plan de l’exploitation – agricole ou minière – du sol, que, même en réduisant l’« utile » à 10 %  du territoire national, il n’y a que trente nationaux potentiels, tout au plus, pour en consommer les fruits de cent hectares… Certes, a contrario de cette troublante constatation, combien y a-t-il de nationaux susceptibles d’exploiter ces cent hectares ? Moins de cinq, assurément : cela laisse, en l’état de sous-équipement technique du pays, bien des espaces vides…

Nous parlions plus haut de contrôler le plus grand nombre possible de paramètres d’une quelconque filière. Qui peut le faire ? Qui le doit, pour la pérennité de l’action ? Deux réponses à la première question – l’une qualifiée de capitaliste, l’autre de collectiviste – sont largement connues et ont produit, chacune selon sa dynamique propre, la même preuve de la nocivité de la concentration des informations, dans la conduite d’un tel projet complexe. La prise de contrôle de l’ensemble par un élément constitutif du système tue les confrontations dynamiques, impose des choix stratégiques fondés sur un parti pris, au détriment toujours de la qualité, en tel ou tel maillon faible de la chaîne d’abord, puis, à plus ou moins court terme, de toute la filière. La troisième voie consiste à mettre en place un forum spécifique où les divers points de vue se réséifient autour d’un projet mutuellement profitable. Tous les acteurs concernés d’une même filière ont à s’associer au sein d’une structure suffisamment souple, évolutive, indépendante et non-lucrative, pour assurer la cohésion de l’ensemble, dans le respect des particularités. On y partage une éthique, une recherche, un souci du meilleur, on y anticipe, collégialement, les risques, les réglementations et les opportunités, on y négocie les marges bénéficiaires de chacun, sans jamais perdre de vue ni ses intérêts propres, bien sûr, ni ceux du projet commun.

 Contextualisation

Il reste probablement à situer une telle démarche dans la dialectique « public-privé » qui fonde la nation mauritanienne moderne. Plus largement, cet examen peut permettre de recentrer le débat des stratégies communautaires spécifiques au pays, passablement troublées depuis un demi-siècle. Les temps sont mûrs, semble-t-il, pour telle réflexion. Elle débouche ainsi sur la notion capitale de forum, d'espace transitionnel, nécessaire à l'élaboration d'ententes et de stratégies pertinentes. Or, dans le monde dit moderne, la question de l'espace pose immédiatement celles de sa propriété et de sa gestion. Quoique s’imposant à l’une et l’autre, l’impériale loi du marché nuance son emprise, au gré du choix de leur mode : public ou privé. Au-delà de l’opposition, classique, entre l’inertie conservatrice du premier et la mobilité entropique du second, la seconde moitié du XXème siècle s’est employée à développer des réseaux médians d’exploitation du temps et de l’espace, regroupés aujourd’hui sous l’appellation « Société civile » et l’on se plaît à espérer que la promotion de ces solidarités citoyennes non-gouvernementales garantisse, enfin, une démocratie équilibrée où les inéluctables concentrations de pouvoir soient en permanence bridées – c'est-à-dire : conduites – par le jeu de contre-pouvoirs efficaces.

Sans discuter ici de la pertinence de cet espoir, retenons ses évidentes gradations de clarté, entre les univers dits « développés » où le rôle de l’État, considérable dans la survie du citoyen, est assez précisément cadré, et les autres où la dialectique public-privé est, disons, beaucoup plus floue. Dans le cas de la Mauritanie, ce clair-obscur se vit à l’aune d’une société – plus probablement même : de sociétés – en phase de « déconstruction-reconstruction », où tout est à faire en même temps. D’antiques solidarités non-gouvernementales, pas vraiment citoyennes – nommons-les « tribales », reportant à plus tard un débat pourtant fondamental – pénètrent les arcanes de tous les pouvoirs, localisés ou plus généraux, économiques, politiques ou autres, et interfèrent banalement dans le discours de la modernité « classique » ; plus exactement, sous ce discours qu’elles manipulent au gré de leurs nécessités vitales.

La situation est d’autant plus complexe qu’elle s’inscrit dans un processus global d’universalisation et d’individuation de la propriété : toute réalité perceptible doit appartenir à quelque personne, physique ou morale. On voit ainsi s’infiltrer des appétits de plus en plus individualisés dans les anciennes solidarités – et, a fortiori, bien évidemment dans les nouvelles – convoquées à moindre frais pour couvrir de très personnelles élévations, parfois sous les plus pieux prétextes, sinon les plus moraux. Dans cette frénésie d’accession à la citoyenneté efficiente – c'est-à-dire, en son acceptation minimale : à l’appropriation des potentialités de consommation – que devient le bien commun ? La question se pose trivialement à chaque carrefour de la capitale où la circulation des automobiles devient impossible, sous la multiplicité des élans contradictoires. On admet alors l’intervention du policier qu’on évite d’habitude, en sa pesante qualité de monsieur « Miteyne » [63]. Faut-il pour autant attendre, en chaque situation où des intérêts divers sont en jeu, le blocage des activités, pour négocier une fluidité optimale des échanges où chacun trouverait à l’évidence bon compte ?

Avant d’aborder les éléments de réponse à cette interrogation, transportons-nous un instant au Canada où se sont organisées, notamment dans le secteur agro-alimentaire, des « tables-filières », regroupant les différents acteurs d’un même secteur d’activités, appelés à se pencher ensemble sur leurs dépendances mutuelles et les moyens d’en tirer le meilleur profit. Producteurs (25 %), transformateurs (18 %), distributeurs (15 %), organismes non-gouvernementaux divers (15 %) et État (25 %), en ses diverses réalités (gouvernements provincial et fédéral), composent ces tables de concertation, de type associatif, financées par des cotisations et subventions de leurs membres.

L’image est parlante. De retour en Mauritanie, on cherche en vain les organisations de producteurs, de transformateurs et de distributeurs susceptibles de représenter réellement les intérêts de tous les travailleurs – exploitants et exploités – d’une filière et économiquement capables d’assumer la collégialité de telles tables, dont on peut aisément comprendre l’impact positif sur l’exploitation durable d’une nation. Nous l’avons signalé plus haut : tout est à construire – mais, aussi, à déconstruire – en même temps. Aspirées par la fébrilité d’un secteur commercial informel surdéveloppé, la plupart des activités laborieuses – plus des trois-quarts ! – en subissent la loi d’opportunité, anéantissant les velléités de constructions patientes et coordonnées sans lesquelles tout bouclage d’une filière efficace est inenvisageable. A contrario, la fixation d’une part de ces activités dans le cadre étatique, beaucoup trop lourd et centralisé, n’a jamais pu assumer, pas plus en Mauritanie qu’ailleurs, toute la complexité de systèmes d’exploitation en prise directe sur le vivant.

Il s’agit donc bien d’assurer, entre l’aléatoire effervescence de la vie active mauritanienne et les ordonnances planifiées de son gouvernement, des zones de calme relatif où puissent s’affirmer des stratégies concertées, du court ou long terme, du plus local au plus global. Si le cadre associatif – bien mieux que coopératif, trop impliqué dans l’agitation du marché – semble convenir à la limitation de ces champs, la question de son financement demeure entière. À défaut de pouvoir compter sur l’appui de tous les membres de la filière – et c’est le cas le plus fréquent en Mauritanie, notamment en zone rurale où la pauvreté confine aux abîmes – on ouvre la porte à des jeux de pouvoir fort restrictifs de la concertation ; en définitive, toujours préjudiciables à la bonne marche de la filière. Il n’est guère plus sain ; en tout cas : éminemment aventureux ; de supputer sur l’éternité d’une aide internationale dont il serait temps, soit dit en passant, de mesurer l’impact sur la Société civile mauritanienne. Sans celle-là, celle-ci serait probablement fort moribonde et les élites du pays devraient, sans plus tarder, se pencher sur ce redoutable vide. Mais c’est déjà un autre débat et concluons sans ambages : l’efficience des hypothétiques tables-filières mauritaniennes passe par leur autonomie de fonctionnement, garantie par quelque système pérenne sécurisé, sinon, par tous les associés sans exception, mettant chacun dans la tirelire un quantième, croissant avec le volume, de ses bénéfices tirés de la filière.

En l’état actuel du marché mauritanien, notamment en son secteur primaire, c’est l’option « système pérenne sécurisé » qui retient singulièrement l’attention. La formule la plus simple et la plus adaptée à l’univers culturel de la Mauritanie consiste à doter chaque table-filière des bénéfices d’une IPP constituée au plus près des activités affectées par ladite table. Soulignons la nuance. Dans un pays aussi peu structuré, il ne suffit évidemment pas de bâtir une table-filière nationale à Nouakchott pour organiser durablement, à Sélibaby ou Aïoun, la production, le conditionnement et l’expédition des produits en rapport : il doit exister, en chaque situation isolée, une table-filière partielle, autonome, efficacement représentée au niveau national et assurée par un analogue « système pérenne sécurisé » localisé, tout aussi « indépendant » des structures nationales. Quoique bien évidemment liée au destin de la filière dans son ensemble, l’autonomie de ces tables partielles n’est pas accessoire : elle est tout aussi indispensable à la bonne gestion des contraintes foncières et environnementales qu’à la juste appréciation des coûts réels de production.

Revenons, pour finir, sur la spécificité des « IPP associatifs ». Mettant ordinairement en jeu l’État (propriétaire du foncier), un bailleur public ou privé (propriétaire ou donateur des équipements immobiliers et mobiliers) et l’association bénéficiaire, ils se comportent, de fait, comme une entreprise capitaliste quelconque, dont les actionnaires auraient renoncé définitivement à la rémunération de leur capital, au profit d’une œuvre publique précisément déterminée. Cerise sur le gâteau : le caractère pérenne de l’immobilisation de la propriété implique, pour le gestionnaire du bien, une attention prioritaire aux amortissements de sa valeur et cette contrainte ouvre, pour tous les opérateurs intéressés au développement de la Mauritanie, de puissantes perspectives. On pressent désormais que la fluidité générale des échanges implique, ici et là, des îlots de terre ferme où puissent se construire des arches de navigation durable, à distance certaine des tempêtes monétaires. Faut-il s’étonner, en terres musulmanes, que les plus islamiques outils de solidarité – facilement adaptables, au demeurant, à un emploi universel sans aucun a priori religieux : ce sont, objectivement, des outils économiques – se révèlent les plus sûrs garants de ces indispensables espaces ?

 

  

TRYPTIQUE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

 


 


 

 ISLAM ET ÉCOLOGIE [64]

 

Il y a quelques mois, je rencontrai une fort gentille demoiselle, européenne, s’enquérant de la « législation » musulmane en matière d’écologie. Mandatée par une officine internationale de développement, elle prépa-rait, en amont d’un éventuel plan d’actions environnementales, un recueil de recommandations construit à partir d’une batterie de questions fort pertinentes… d’un point de vue européen. C’est à dire : de celui d’une pensée quadrillée, depuis l’enfance, par tout un réseau de lois, horaires, règlements et normes spécifiques, tant intériorisé qu’on a peine à seulement imaginer la possibilité d’une vie sociale dépourvue de tels tuteurs. La demoiselle, qui avait consulté de grandes autorités islamiques, s’étonnait donc de la piètre précision des réponses à ses questions. Réfléchissant à ce hiatus, j’entrevis alors celui, plus général, entre les droits positifs musulman et moderne, dans la société mauritanienne. Partant du principe qu’une différence, c’est une fécondité potentielle, je mis en chantier plusieurs ouvrages sur la question, dont un, à ce jour inachevé, centré sur les rapports entre le musulman et son milieu de vie [65]. L’article suivant en esquisse les contours.

L’homme vit en interaction avec son milieu. La prise de conscience de cette loi d’existence s’universalise avec la mondialisation des problèmes écologiques posés par les activités humaines. Dans ce mouvement, l’islam apporte-t-il des réponses concrètement efficaces ? Vaste question susceptible de multiples développements et, avant tout essai en la matière, il convient d’éclairer la démarche par une vision globale de la perspective musulmane. Monothéisme absolu, l’islam n’en est pas moins une religion de la Nature. De nombreux versets illustrent le propos. « Où que vous vous tourniez, vous voilà face à Votre Seigneur. » 2 – 115 ; « N’as-tu pas vu que Dieu est glorifié par tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre, ainsi que par les oiseaux déployant leurs ailes ? Chacun, certes, a appris sa façon de L’adorer et de Le glorifier. Dieu sait parfaitement ce qu’ils font. » 24 – 41 ; « Dirige tout ton être vers Son culte exclusif, telle est la nature que Dieu t’a originellement donnée – pas de changement en Sa création – Voilà la religion de droiture mais la plupart des gens ne savent plus. » 30 – 30.

Au sein de cette Nature soumise à son Principe créateur, l’homme a fonction dirigeante. « Ne voyez-vous pas que Dieu a soumis à votre service tout ce qui est dans les cieux et sur le terre ? Et Il vous a comblé de Ses bienfaits apparents et cachés. » 31 – 20. « C’est Lui qui a fait de vous Ses khalifes sur la terre et qui vous a élevés en rangs les uns au-dessus des autres afin de vous éprouver en ce qu’il vous a donné. » – 165.  La conscience séparée nous donne certes à exercer ce pouvoir. Elle nous limite cependant, nous affaiblit, donnant à nos sens des illusions de certitude. L’ignorance– plus précisément : l’oubli – l’aveuglement et les passions dissolvantes en découlent. « Dieu veut vous alléger [par Son Rappel] car l’homme a été créé faible. » 4 – 28. « […] Puis leur succédèrent des générations qui délaissèrent la prière et suivirent leurs passions. » 19 – 59. « Ne vois-tu pas celui qui prend sa passion pour divinité ? » 45 – 23. « Ceux qui violent leur pacte avec Dieu après l’avoir engagé, rompent ce que Dieu a commandé d’unir et commettent le désordre sur terre, ceux-là auront malédiction et mauvaise demeure. » 13 – 25.

Troublant la nature de l’homme, ce détournement de sens brise l’harmonie de ses rapports vitaux, avec des conséquences dramatiques pour le monde dont il a accepté la responsabilité. « La corruption est apparue sur terre et dans la mer à cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains et afin que Dieu leur fasse goûter une partie de ce qu’ils ont œuvré. Peut-être reviendront-ils… » 30 – 41. Faiblesse et responsabilité humaine… Dans cette problématique, Dieu exerce Sa compassion et Sa miséricorde en rappelant sans cesse à la paix avec nous-mêmes, avec la Nature, par l’intermédiaire de prophètes (PBE). « Dieu appelle à la demeure de la paix et guide qui Il veut vers un droit chemin. » 10 – 25. « Dis : je ne suivrai pas vos passions car ce serait m’égarer et je ne serais plus parmi les bien-guidés. » 6 – 56. « Dis : voilà ce qu’il m’a été révélé : votre Dieu est Le Seul Unique. Vous soumettez-vous ? » 21 – 108. « N’est-ce pas à Son évocation que les cœurs se pacifient ? » 13 – 28.

Cette paix se construit dans l’observance de quelques obligations et interdits. Ils sont peu nombreux, tant il est vrai que la règle originelle en tout, c’est la permission, la libre expression de la Nature. « Dieu veut pour vous l’aisance et non la gêne. » 2 – 185. « Ils te demandent ce qui leur a été permis, dis : on vous a permis les choses bonnes et pures. » 5 – 4. « Dieu vous a imposé des prescriptions : ne les négligez pas. Il vous a tracé des limites : ne les transgressez pas. Il vous a interdit certaines choses : ne les enfreignez pas. Et Il s’est tu sur beaucoup d’autres, non pas par oubli, mais par miséricorde à votre égard : ne questionnez pas à leur sujet. », hadith du Prophète (PBL).

Cette fluidité en matière légale a permis à l’islam – lui permet et permettra, incha Allah, jusqu’à la fin des temps –d’irriguer toutes sortes de situations dans le temps et l’espace, remplissant ainsi sa fonction d’ultime rappel pour l’Humanité. Des jurisprudences (fiqh), adaptées et relatives, découlent d’un examen précis des contextes à la lumière des principes illuminant les textes. Citons ici, en premier chef, la quête constante de l’excellence.  « Et luttez    pour Dieu avec tout l’effort qu’Il mérite. » 22 – 78. « Dieu a prescrit d’agir au mieux en toute œuvre. ». « Si la fin du monde vous surprenait en pleine plantation de palmier, appliquez-vous dans votre travail, jusqu’au bout. », hadiths du Prophète (PBL).

 Cette quête n’a pourtant rien de rigoriste ni de surhumain ; bien au contraire : elle ne peut porter ses fruits que dans la mesure. « Pas de contrainte en religion ! » 2 –256. « La religion est aisance et facilité. Jamais quelqu’un ne cherchera à rivaliser en force avec la religion sans que la religion ne l’écrase. Suivez plutôt la voie du milieu. Rapprochez-vous en douceur de la perfection et soyez optimistes. »« La modération ! La modération ! C’est seulement par elle que vous arriverez à bon port. », hadiths du Prophète (PBL). Les travaux sur soi et son environnement sont, en islam, à la manière de l’eau qui creuse son chemin dans les pierres les plus dures, par la seule action de sa persévérance. L’action discrète qui se répète est meilleure que le coup d’éclat et les cinq prières quotidiennes, courtes mais régulières, en sont la plus simple expression. Ce goût de l’action mesurée exsude de tout le Saint Coran. « Ô les croyants ! Soyez endurants, incitez-vous à l’endurance ! Luttez avec constance et craignez Dieu, afin que vous réussissiez ! » 3 – 200. « Les musulmans, quand ils dépensent, ne sont ni prodigues ni avares mais se tiennent au juste milieu. » 25 – 67. « Ô gens du Livre ! N’exagérez pas dans votre religion. » 4 – 171. « Mangez et buvez sans excès car Dieu n’aime pas les excès. » 7 – 31.

L’excès, dans la langue coranique, a même une connotation de despotisme (cf. la qualification du pharaon dans la sourate 10 verset 83). C’est pourquoi l’appréciation du juste milieu implique la consultation de toutes les compétences, dans les décisions d’ordre collectif, la recherche du plus large consensus possible et la négociation, en cas de conflit. Là encore, l’éloignement des passions constitue la clé du succès. « Ne suivez pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice. » 4 – 135. Car le juste milieu, c’est, en définitive, l’équité et la justice, la préservation des liens organiques dans la Création Divine, sans lesquels désordre et corruption s’installent, sur terre et dans la mer. « Donnez la mesure et le poids en toute justice. Et Nous ne chargeons un être que selon ses moyens. » 6 – 152. « Si tu juges entre eux, juge en toute équité. Car Dieu aime les juges équitables. » 5 – 42. « L’homme assurément se corrompt, sauf ceux qui croient, accomplissent de bonnes œuvres et se recommandent mutuellement la vérité et la patience. » 103 – 2 ; 3.

Équité et justice envers les autres hommes, mais aussi envers toute la Création, envers sa propre nature comme envers la Nature en général. Car l’homme en est, rappelons-le encore, le gardien, khalife (tenant lieu : lieutenant) de Dieu sur terre. « Ô mon peuple ! Adorez Dieu ! Vous n’avez point de divinité en dehors de Lui. De la terre, il vous a créés et vous l’a fait coloniser. Implorez donc Son pardon puis repentez-vous à Lui. » 11 – 61. « Vous êtes tous des bergers et tout berger est responsable de l’objet de sa garde. » ; « Celui qui possède une terre, qu’il la cultive ou la prête à son prochain. » ; « Pour toute bonne action envers n’importe quel être vivant, Dieu vous compte salaire. » ; « Quiconque tue un oiseau ou quelque autre bête sans justification plausible, Dieu lui en demandera compte. » ; « On ne doit ni faire de tort ni en subir. » ; « Tout musulman qui plante un arbre se voit inscrire une aumône, chaque fois qu’on en mange, chaque fois qu’on en prend, chaque fois qu’on en profite d’une quelconque manière. »,hadiths du Prophète (PBL).

Certes, des priorités interviennent pour ordonner convenablement l’équité et la justice. « Que celui qui est dans l’aisance dépense avec aisance. Que celui qui est dans la gêne dépense avec parcimonie. Dieu ne charge une âme que selon ce qu’Il lui a donné. » 68 – 7. « Adorez Dieu et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers vos géniteurs et parentés, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin plus lointain, le collègue, le voyageur et vos serviteurs. Car Dieu n’aime vraiment pas le présomptueux et l’arrogant, ceux qui sont avares, commandent l’avarice et cachent ce que Dieu leur a donné de par Sa Grâce. » 4 – 36. « La main supérieure [qui donne] vaut mieux que la main inférieure [qui reçoit] ; commence par les tiens : ta meilleure aumône est celle qui ne laisse pas ta famille dans le besoin. » – « Veille à ton strict besoin et à celui de ta famille. Lorsque ceux-ci sont satisfaits, tout quémandeur a droit d’accès à l’eau, aux pâturages, au feu et au sel que tu détiens [qui t’ont été confié par Dieu]. Et en cas de danger pour sa vie, le nécessiteux a droit à partager ton strict besoin. » – « Le propriétaire est responsable de sa propriété. Sa moindre chèvre doit être convenablement nourrie ; sinon vendue ; sinon mangée. »,hadiths du Prophète (PBL).

L’interprétation musulmane de la propriété – simple dépôt divin – reconnaissant le droit supérieur de la vie et de l’utilité, est fondamentale, dans l’organisation de la société islamique. Si « sacrés sont la vie, l’honneur et les biens du musulman » – hadith du Prophète (PBL) – l’intérêt de la communauté prévaut, en cas de nécessité, sur l’intérêt privé. Des compensations sont alors étudiées, toujours dans un esprit de mesure, équité et justice. Il convient ici encore de souligner le caractère souple et vivant de cette conciliation. Le petit nombre d’articles de loi composant la Chari’a – c’est-à-dire strictement : Le Saint Coran et la sunna du Prophète (PBL) – est, nous l’avons vu, une miséricorde divine. Il y a grand danger d’étouffer cette liberté d’adaptation – et plus grave : de déformer l’esprit même de la loi – en cherchant systématiquement à légiférer à partir du moindre principe ou conseil énoncé dans le Coran et la sunna du Prophète (PBL). Paradoxalement, les législations humaines, supposées mieux adaptées à la diversité des situations temporelles et spatiales, sont aujourd’hui infiniment plus contraignantes que la stricte législation divine. On en veut pour preuve l’effarante complexité des codes et normes en vigueur dans les pays laïcisés et leur évolution, toujours plus rigoriste. D’autres l’ont souligné, avant nous : le champ de la liberté humaine se restreint, chaque jour davantage, là où cette même liberté est posée, ironie du paradoxe, en principe absolu.

Éminence de l’éducation

À cet excès normatif, l’islam répond par une éducation accrue. Plus intériorisé le sens de la soumission à Dieu, et plus grande la capacité de l’homme à résoudre humainement les difficultés quotidiennes. Plus intégrés les principes et l’esprit, plus profonds l’humanisme et la responsabilité de chacun. À ce titre, l’islam est bien une éducation de la Nature. Énoncé dès les premiers versets révélés : «Lis ! Au nom de ton Seigneur qui a créé ; qui a créé l’homme d’une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble qui a enseigné par la plume ; a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. » (96 – 1 à 5), cet enseignement se poursuit dans le mode même de la Révélation ; son rythme ; son adaptation à l’évolution des mentalités. Elle s’épanouit dans la personnalité du Prophète (PBL) et ses immenses vertus pédagogiques. Tenant compte de chaque interlocuteur, de chaque situation, il apportait conseils et sens à la mesure précise de chacun, en les exhortant constamment à la réflexion et à la compréhension du monde : « Allez chercher la science jusqu’en Chine s’il le faut. », hadith du Prophète (PBL).

L’importance de l’étude, en islam – certains n’hésitent pas à parler de devoir, pour chaque musulman – apparaît ainsi en pleine lumière. En matière d’écologie, elle doit être plus précisément orientée vers le concret quotidien de chacun. Mieux je connais le pas de ma maison, la faune et la flore qui l’environnent, la toxicité des produits que j’utilise, les interactions mesurables entre mes activités et mon milieu de vie, et plus je deviens capable d’assurer mon khalifat sur terre. Certes, il demeure un plan d’intervention qui dépasse largement la seule conscience individuelle. Même chacune éminemment respectueuse de la Nature, mille personnes foulant quotidiennement le même chemin en perturberont les équilibres autrement plus qu’un seul parcourant celui-là en solitaire : fatalité des grands nombres. De même, les déséquilibres économiques mondiaux diversifient les problématiques écologiques et il est illusoire de prétendre situer, au même niveau, le gaspillage insensé des uns, engoncés dans une consommation effrénée,  avec la survie parfois obstinée des autres : question de nécessité, dont on rappellera, ici avec profit, sa prévalence en islam sur la loi. L’affamé qui vole pour survivre ne peut être ainsi puni ; mieux : on doit alors obliger les riches à le nourrir…

C’est dans ces limites qu’on pourra aborder, en terres d’islam, efficacement le travail juridique en matière d’écologie. Aux multiples indications et pistes déjà mentionnées, d’autres spécificités musulmanes sont à même d’éclairer les choix. Ainsi l’interdiction du prêt usurier, la malédiction vouée au spéculateur, l’association du travail et du capital au risque partagé et la réduction des inégalités par inégalités compensatrices sont, probablement et plus ou moins directement, extensibles au domaine écologique. Précisons quelques termes. Le spéculateur, en islam, est celui qui provoque sciemment la pénurie. À l’inverse, « béni par Dieu celui qui approvisionne le marché. », hadith du Prophète (PBL).On retrouve dans ce dilemme le sens de la mesure dont nous avons souligné plus haut l’importance. L’exploitation du milieu naturel qui alimente le marché doit être conduite de manière, non seulement, à ne jamais épuiser celui-là, afin d’éviter toute pénurie, mais, encore, à en assurer le développement durable, afin de générer richesse et fertilité. Rappelons que l’association du travail et du capital au risque partagé constitue la réponse positive à l’interdiction du prêt usurier. Aucun gain ne peut être garanti sans efforts ni risques et, surtout, la moindre association doit être profitable à toutes les parties engagées. Le milieu naturel est un partenaire à part entière qui apporte son capital – la majeure partie, en fait, du capital vital – le travail d’une multitude d’organismes écologiquement reliés, et qui a droit à une juste rétribution de son activité. Non seulement le contrôle des prédateurs des récoltes doit être intégré aux plans de culture – dans des limites, là encore, honnêtement mesurées – mais la richesse et la fertilité générées par une gestion intelligente des ressources doivent être clairement partagées avec le milieu nourricier.

Enfin, la réduction des inégalités par des inégalités compensatrices est notoire, en islam, dans les rapports entre hommes et femmes. Délestés, par la Nature, de responsabilité dans le processus génésique – ce sont les femelles qui portent et allaitent – les mâles sont, en notre religion, sur-responsabilisés dans le devoir familial – loger, nourrir, habiller : première inégalité compensatrice – puis sur-dotés lors des héritages : seconde inégalité, compensant celle-ci. Pour donner un exemple, simple, de ce que nous suggérons ici, si nous n’avons guère de rôle dans l’absorption du gaz carbonique, nous avons un devoir de gestion équilibrée du manteau végétal.

À s’en tenir au seul rapport de sujétion que Dieu a instauré entre l’homme et le reste de Sa Création, on s’intéressera, avec grand profit également, aux droits reconnus du serviteur dans la société islamique traditionnelle. Là encore, les concepts de mesure, responsabilité et utilité jouent un rôle décisif dans l’appréciation des situations. Il conviendra de s’arrêter notamment sur la notion de mawla qui qualifie à la fois le maître, le patron, le propriétaire mais, aussi, l’esclave affranchi, dans son nouveau rapport avec son ancien maître ; le gendre, le fils de la sœur, l’oncle paternel, parfois même le fils ; et encore : l’ami intime, le voisin, le client, l’allié et, d’une manière générale, tout auxiliaire avec lequel on entretient un lien d’assistance mutuelle, direct, sans médiation de tiers.

Mawla a pour racine wala. Signifiant littéralement : être très proche, suivre immédiatement ; elle occupe un champ sémantique extrêmement large où localisation, gouvernement, amitié et responsabilité évoquent diversement le sens du lien vital ; en islam, le mode opératoire du dynamisme unitaire de La Création. Si tout proche de Dieu est le wali, le saint homme, Dieu Lui-même, mawla de toute être,  en est le Suprême Wali, Celui qui demeure « plus près de tout un chacun que sa veine jugulaire. » 50 – 16. Ce célèbre verset résonne singulièrement dans la formidable profondeur de celui que nous évoquions en exergue : « Où que vous vous tourniez, vous voilà face à Votre Seigneur. » 2 – 115. Et résonne d’autant plus que, s’effaçant comme s’effacent les illusions et les songes, « tout disparaîtra. Ne subsistera, pleine de majesté et de noblesse, que La Face de ton Seigneur. » 55 – 26 et 27. Nous vivons, du plus intime au plus éloigné, dans un réseau ininterrompu de relations dont nous sommes responsables et dans lequel la Présence Divine constitue La Seule Originelle et Ultime Réalité…

Ce survol de la perspective musulmane ne saurait s’achever sans considération de ses modalités d’application. L’éducation, nous l’avons vu, en constitue la pierre d’angle : nous y reviendrons en fin d’exposé. Quant à la législation, plusieurs forces travaillent à son adéquation. De leur harmonie dépend l’ordre du monde. « Ô les croyants ! Obéissez à Dieu, à son Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement ! » 4 – 59. Obéir à Dieu et à Son messager, c’est suivre strictement la Chari’a :le chemin qui ramène à l’origine. C’est pourquoi Le Saint Coran et la sunna du Prophète (PBL) constituent les sources obligées de toute législation. L’obéissance envers ceux qui détiennent le commandement est conditionnée à leur propre soumission à la Chari’a ainsi définie. Un autre aspect du phénomène réside dans l’identité de ceux qui en sont réputés en détenir les clés.

Il y a, d’une part, ceux qui savent : les ‘uléma. Fins connaisseurs du Saint Coran et de la Sunna – la Chari’a en son sens strict – ainsi que de la somme des avis de leurs prédécesseurs (fiqh) ; et graduellement diplômés en fonction de l’étendue de leur savoir, ils sont à même d’émettre des avis (fatwa) susceptibles d’être mis en pratique. Mais ce n’est pas à eux de veiller à leur application éventuelle. Cette fonction relève tout d’abord de ceux qui détiennent le pouvoir. Ceux-ci émettent des jugements exécutoires (hukums) qui doivent nécessairement reposer sur un ou plusieurs avis des ‘uléma, à défaut d’être une application directe de la Chari’a telle que définie tantôt. Et c’est bel et bien à la communauté qu’il revient en définitive de faire vivre la religion. Elle le fait d’une manière naturelle : toute communauté n’existe que par ce qui relie ses membres. Son activité met en jeu traditions populaires, coutumes et modes, intégration plus ou moins profonde de la Chari’a et du fiqh, connaissance des réalités objectives ;enfin, les nécessités quotidiennes. Normalement consensuelle, elle est parfois agitée de positions contradictoires, à la mesure de la diversité des opinions, particulièrement lorsque la société est bousculée dans ses traditions, voire ses équilibres socio-écologiques.

C’est aujourd’hui le cas dans la majeure partie de l’Oumma, notamment en Mauritanie. Dans cette toute jeune république, la population, relativement stable durant des siècles, a quadruplé en cinquante ans. Le cheptel a été multiplié par six, du fait d’un accès généralisé aux eaux souterraines. Mais, dans le même temps, le manteau végétal fourrager s’est considérablement amenuisé et d’autant plus fortement que la pluviosité tend elle-même à diminuer. Dans cette situation explosive, lourde de troubles sociaux majeurs, il faut réfléchir à la pertinence des questions. Ainsi semble-t-il fort irréaliste d’aborder, par exemple, celle des mises en défends dans le seul cadre de leur éventuelle légalité en islam. Dans une société si profondément marquée par le pastoralisme nomade, c’est à coup sûr paralyser la réflexion. Bien des contournements sont envisageables ; par exemple : « A-t-on les moyens, aujourd’hui en Mauritanie, de conserver nos modes alimentaires ? Comment nourrir notre cheptel sans dépendance extérieure ? Gérer rationnellement nos pâturages, est-ce possible ? » : le questionnement en amont des éventuelles dispositions légales s’avère primordial. Il fait appel, on le voit à la lumière de cette problématique exemplaire, à la concertation communautaire, à l’élévation des points de vue particuliers et au développement de la conscience environ-nementale : l’éducation jouant, en l’occurrence, un rôle de tout premier plan.

Voilà pourquoi tous les enseignements, du primaire au regroupement coopératif féminin, doivent impérativement s’infléchir vers une connaissance concrète du milieu environnant. Dans le moindre village et dès le plus jeune âge, la moindre faune, la moindre flore doivent être connues de tous ; une réflexion engagée et soutenue sur les conséquences de nos activités en et autour de nous ; une gestion responsable de nos choix, mise en place localement, encouragée par toutes les instances administratives de la nation, les bailleurs de fonds, les ONG nationales et internationales ;  des contrats de pays, étudiés entre collectivités locales, afin de coordonner les actions et les résultats, tant sur le plan de la connaissance du milieu que de la gestion communautaire des espèces et des espaces…

Tout ceci demande du temps et des moyens. Les autorités et les bailleurs ont à fournir un effort singulier d’équipement de toutes les structures enseignantes : matériel didactique, outils expérimentaux, bibliothèque, etc. Des cycles rémunérés de formation continuée, en direction du corps enseignant, seront suffisamment motivants pour l’engager résolument dans la voie tracée. De très nombreuses synergies sont ici envisageables entre l’État, les collectivités locales et la Société civile, visant à un accroissement significatif des connaissances, de l’exploitation des ressources naturelles de la nation, des diverses expérimentations de développement rural et autres stratégies environnementales localisées, face au défi de la modernité.

Le caractère artificiel de la vie citadine implique de notables aménagements d’un tel programme. Des travaux corollaires étudieront dans le détail cette spécificité. Mais on peut tout de suite retenir le principe d’activités environnementales – éducatives ou plus directement actives – en liaison étroite avec telle ou telle communauté rurale. L’existence de liens naturels, particulièrement développés en Mauritanie, entre citadins et ruraux doit se concrétiser dans des actions concertées, comportant une dimension d’interactivité économique. Cette clé de développement durable semble actuellement insuffisamment utilisée. L’islam, parce qu’il éveille et entretient une conscience unitaire de l’existence, constitue un capital de première importance dans cette approche globale où écologie, social et économie tendent à former une cohérence harmonieuse. Il s’agit de le solliciter dans ses plus précis fondements, en particulier dans sa dynamique éducative, valorisant ainsi une situation moderne où la confusion d’intérêts artificiellement agglomérés semble imposer des codifications arbitraires, généralement incomprises du public et, de ce fait, intermi-nablement inadaptées. De nombreuses énergies peuvent concorder en ce sens, bien au-delà des sensibilités religieuses. L’humanité est un trésor universel, un potentiel de vie pour toute notre planète : c’est tous ensemble, dans la conscience respectueuse de nos différences, que nous le réaliserons et, certes, Dieu est Le Savant.



[1]     Première publication in « Horizons », été 2007.

[2]     La Mauritanie à l’aube du 21ème siècle, Bilan commun de pays (CCA), Nations Unies, Nouakchott, Avril 2002, p16.

[3]     R. Bellefontaine, M. Ettobi, O. Mhirit, Ligneux urbains et agrosylvopastoraux des zones sèches et arides à faible couvert ligneux –-

        http:// www.secheresse.info/article.php3 ?id_article=2341

[4]   LE WAQF […] LA MAURITANIE […], p 85.

 [5]     Voir, plus loin, Mauritanie, quelle éducation pour nos enfants ?

[6]     J.M. Pelt et F. Steffan, La solidarité chez les plantes, les animaux, les humains, Fayard, Paris, 2005.

[7]     Mais pas pour tout le monde : ainsi lorsque sont intimement liées, au sein d’un même capital, ou, plus globalement, d’une même nation, agriculture et industrie chimique, les déboires de l’une font les bonheurs de l’autre : à cet égard, « l’exemple » des USA est plus que significatif…

 [8]    A. Kieman et H. Oumou Sanon, in « Agricultures », Septembre-Octobre 2006, p 417 et suivantes.

 [9]     Mauritanie, quelle éducation pour nos enfants ?

[10]    Voir, plus haut, Bâtir sur l’acquis.

[11]    Immobilisation Pérenne de la Propriété, écriture laïcisé et internationalisée du waqf musulman. Commençons à nous familiariser avec cette dénomination.

[12]    Voir, au-delà des multiples évocations du concept en ce présent ouvrage, LE WAQF […] LA MAURITANIE  […].

[13]    K. Wala, B. Sinsin, K.A. Guelly, K. Kokou, K. Akpagana, Typologie et structure des parcs agroforestiers dans la préfecture de Doulelgou (Togo), in « Sécheresse », volume 16, numéro 3, 2005.

[14]    Et, à cet égard, leur impact positif sur les dépenses de santé doit être, sinon calculé, du moins suffisamment évalué dans l'estimation de leur rentabilité.

[15]    Notion dangereuse : un « nuisible » n'est, en fait, qu'un « régulateur dérégulé ». Au sein d'un écosystème en bonne santé, toutes les espèces, sans distinction, concourent à son équilibre. La question constante demeure celle des limites d'intervention de l'humain, où les plus grands risques sont associés aux idées d'extermination et d'éradication : le « nuisible », l' « inutile », la « mauvaise herbe » sont des nécessités méconnues avec lesquelles il s’agit de négocier les nôtres.

[16]    Rémanence signifie « permanence d'un phénomène après disparition de sa cause ». En termes insecticide ou phytosanitaire, elle signale la « durée de toxicité »de tel ou tel produit actif après dégradation du produit initial. En milieu saharo-sahélien, une rémanence supérieure à trois jours, voire une semaine, constitue (surtout en période sèche) une limite critique, au-delà de laquelle les atteintes à la chaîne alimentaire deviennent problématiques. Or certains produits, impunément vendus sur le marché, voire, en considération de leur « coût » moindre, dûment conseillés aux pays « pauvres », restent actifs des années durant

 [17]   En cessant par la même de couvrir la bêtise des intérêts à terme lilliputien, par l’invocation quasiment conventionnelle de l’urgence ou de la pauvreté.

[18]    Projet IFAC : Institut Français d’Agroforesterie Coloniale. Outre le surdimensionnement, son autre défaut, rédhibitoire, on le comprend mieux aujourd’hui, résidait dans son décalage des réalités sociologiques du terroir. Cependant, le concept mériterait d’être réexaminé, critiqué à la lueur des réalisations endogènes postérieures, et, pourquoi pas, réactualisé dans un cadre de coopération internationale.

[19]    En bref : ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Le potentiel mauritanien se chiffre en dizaines de milliers de petites unités agro-sociales individuellement cohérentes. Leur activation durable dans le tissu macroéconomique revient à construire, patiemment et attentivement, leur cohésion collective…

[20]    Dans la mesure de l’adéquation entre les frais d’entretien du matériel d’irrigation et des possibilités concrètes de rentabilité économique (cf. l’exemple du périmètre de Garak, cité plus haut).

[21]    Révélée, assez souvent et très simplement, par un examen attentif des espèces naturellement implantées. Ainsi, dans le périmètre d’Ismaïla Kane (4 ha au Guidimakha, au bord du Kara Koro, affluent du fleuve Sénégal), c’est la présence de pieds spontanés de rônier qui a signifié celle, indubitable, d'une eau permanente à moins de deux mètres de profondeur.

 [22]    Mauritanie, quelle éducation pour nos enfants ?

[23]    Ibid.

[24]    Par la Convention internationale de Ramsar, notamment.

[25]    Voire, lorsque les conditions s'y prêtent, à l'intérieur même.

[26]    Partenaire remarquable – et remarqué – de ces programmes, depuis plus de vingt ans.

[27]    Et l’on aimerait ici que le neem (Azadarichta indica), cet autre arbre de plus en plus banalisé dans l’environnement populaire, fasse l’objet d’une égale attention, en particulier dans ses capacités de lutte antiacridienne dont le succès, en définitive, reposera toujours sur une participation facilitée des populations locales.

[28]    Respectivement, fleur de l’Hibiscus sabdariffa et pulpe du fruit de l’Adansonia digitata (baobab).

[29]    Car il existe a contrario des produits de qualité, assurés par des tradipraticiens consciencieux qui organisent eux-mêmes la récolte et le conditionnement des plantes nécessaires à leur pharmacopée. C’est notamment le cas des cinq grandes familles de tradipraticiens regroupées au sein de l’Association des Tradithérapeutes de Mauritanie (ATM).

[30]    On retrouvera cette proposition fondamentale un peu plus loin et plus en profondeur, tant sont multiples les implications qu'elle sous-entend.

[31]    Soutenu par des chercheurs scientifiques de haut niveau centrés sur l’École Normale d’Enseignement Supérieur (ENES), eux-mêmes épaulés, en leurs analyses, par le laboratoire de biochimie de la Faculté des sciences de Nouakchott.

[32]    Invariablement membres de la Société Française d'Ethnopharmacologie (SFE) ou de la Société Française de Phytothérapie et d'Aromathérapie (SFPA). On citera, au titre des coopérations spontanées, celle scientifique et pionnière entre toutes, de Michel Thouzery et d’Abdallahi ould Mohamed Vall qui a donné naissance à un ouvrage commun : PLANTES DE MAURITANIE, Éléments de phytothérapie et de médecine traditionnelle en Mauritanie, Ibis-Press, Paris, 2007.

[33]    Cf. Gérard Millot, Élaboration d’une stratégie pour la rationalisation de l’usage de la pharmacopée traditionnelle en Mauritanie, 2004, SFP. L’auteur fut un éphémère conseiller technique français à la Direction de la Pharmacie et des Laboratoires (DPL).

[34]    C’est le seul projet qui a pu passer la barre des deux années d’existence (en 2007, il entre, de fait, dans sa septième année) grâce à divers appuis remarqués : l’association française « Plantes et Nomades », initiatrice également des projets Chinguitt et Maghama, mais limitée en son budget et dont les compétences techniques, indispensables, ne peuvent s’investir, sur place et en l’absence de financements adaptés, plus de quelques semaines par an ; l’ONG mauritanienne « Terre Vivante », pionnière en le domaine, qui aura assuré l’essentiel du budget de fonctionnement durant cinq ans, et financièrement contrainte, depuis fin 2005 (tout comme l’association « Plantes et Nomades », l’année précédente), à un retrait du projet ; l’association autrichienne ADRA, qui finança la clôture du périmètre (1 ha) ; le PNUD, enfin, par sa cellule GEF/SGP, dont le financement d’équipement a permis, en 2004, une extension importante de l’atelier de transformations. Tous ces efforts sont malheureusement compromis par une quasi-absence de développement commercial. Soigneusement récoltées, séchées, conditionnées en sachets étanches et dûment étiquetées, les productions de 2004 et 2005 ont dû être détruites, faute de commercialisation dans les délais requis. Aucune récolte, aucun semis ne furent programmés pour l’année 2006 qui s’acheva dans une situation précaire. Toujours vivant grâce au bénévolat de quelques personnes, regroupées en une association locale (Jardin Médicinal de Maata Moulana, tél : 46 65 61 48 – courriel : j3m2007@gmail.com) le jardin a repris vigueur en 2007, malgré la perte d’un bon tiers de sa capacité productive de 2005, nuancée par le relatif maintien de sa biodiversité (plus de cinquante espèces végétales).

[35]    C’est-à-dire, toujours considérés en chefs d'entreprise, même redevables, vis-à-vis de conseils d'administration, publics, coopératifs, waqfs ou privés.

[36]    Offrant à ces dernières, non seulement, des ressources précieuses de fonctionnement mais, aussi, au regard des besoins éventuels de la formation, des équipements complémentaires à leur installation, éminemment utiles au développement des lieux. De telles sessions gagneraient également à faire appel à un panel de spécialistes locaux, judicieusement complété par ces mêmes ethnobotanistes français déjà impliqués dans la gestation de la filière : les rémunérations de ces interventions formatrices encourageant de plus amples missions, ordinairement bénévoles, sur le terrain...

[37]    Un jardin médicinal en Mauritanie doit disposer en permanence d'un fonds de roulement lui assurant au minimum neuf mois de fonction-nement : soit, d'une fin de saison humide à l'entrée de la suivante, couvrant, simultanément, risques hydrique et parasitaire (en particulier, acridien).

[38]    Alors qu'au niveau précédent, la participation active de l'État semble plus relever du développement rural et de l'environnement, on voit maintenant apparaître, prioritairement, son rôle au niveau de la santé (réglementation) et de la recherche (laboratoires universitaires).

[39]    Où ces organisations actives doivent avoir un siège, sinon électif, du moins consultatif ; les producteurs ayant le choix, quant à eux, d'être représentés par celles-ci ou de défendre eux-mêmes leurs intérêts.

[40]    L’association PRoduits d’Excellence d’une FIlière de plantes MEDIcinales en Mauritanie (PREFIMEDIM) ; tél : +222 46 48 36 58 ; courriel : prefimedim@gmail.com – a été fondée en Juillet 2007, réunissant une trentaine d’acteurs potentiels de la filière. Elle met en œuvre, depuis Avril 2017, le projet susdit, sur financement principal de l’Union Européenne. Voir l’exposé complet du projet en Annexes 2 « LE WAQF […] LA MAURITANIE […], op. cité. 

[41]    LE WAQF […] LA MAURITANIE […].

[42]    Il faut, impérativement, relativiser cette dépendance structurelle, propice à toutes les confusions, et au déséquilibre de l'attention des ONG nationales, organisations de relais, vers la production de projets, au détriment de la pérennité de leur concrétisation...

 [43]    Première publication, « Horizons », automne 2008.

[44]    Agriculture et biodiversité, téléchargeable gratuitement sur le site Internet : www.inra.fr

[45]    Son inclusion, un peu plus loin dans le présent ouvrage, devrait donner, au chercheur non-musulman, de précieuses indications méthodiques pour tout travail d’ordre écologique en sociétés musulmanes.

 [46]   « Chaque instant à Sa volonté » (celle de Dieu, le Tout de toute chose).

 [47]    En mode discursif, c'est-à-dire dans les limites existentielles de nos egos..

[48]    Il convient de s’interroger sur les causes réelles de la récente « crise alimentaire » si curieusement en phase avec celle des subprime et sur les exhortations répétées des « spécialistes » à accroître substantiellement l’usage des engrais et autres intrants artificiels, dans les modes de production agricole des pays non-industrialisés. Les profits spéculatifs monétaires sont à mal, on se rabat donc sur de plus triviaux et, à défaut d’une très improbable relance de la consommation humaine, on stimule, entre autres, la « machine industrielle » en déversant ses produits dans l’environnement, au plus lointain possible, on le comprend bien, des demeures de ces « avisés » spéculateurs…

 [49]    Voir, plus loin, Islam et écologie

[50]    Voir, notamment, RUSCH, Dr Hans Peter, La fécondité du sol, pour une conception biologique du l’agriculture, traduit de l’allemand par Claude Aubert, Le courrier du livre, Paris, 1972. M. et G. PIRLET, Les cultures associées, Nature et Progrès Belgique, 2007, ISBN10 : 2-930386-13-4. Joseph POUSSET, Engrais verts et fertilité des sols, Agridécisions, 2002, ISBN10 : 2-912199-11-5

 [51]    C’est-à-dire : le connaissable inaccessible à la pensée cartésienne, méditer encore et toujours la note 34.

[52]    En termes, tout d’abord, de calories et d’apports vitaminiques, si tant est que ces paramètres soient les plus pertinents dans l’évaluation des apports nutritifs ; en termes monétaires, ensuite, permettant d’apprécier la balance commerciale, d’une part, et, d’autre part, les divers coûts de ces apports nutritifs.

[53]    Rappelons que, depuis le début de ce siècle, la production agrosylvopastorale nationale n’a jamais couvert, monétairement parlant, guère plus de 40% des besoins.

 [54]    On pourra consulter, plus loin, intégralement ledit dossier.

 [55]       Source : État des lieux et perspectives du secteur rural en Mauritanie, MDR, Février 2007.

[56]       Ibid.

[57]       Les ligneux urbains et agrosylvopastoraux des zones sèches et arides à faible couvert ligneux, par R. Bellefontaine, M. Ettobi, O. Mhirit, www.secheresse.info/article.php3 ?id_article=2341

 [58]       Source : Direction Générale des Douanes/SYDONIA.

[59]       D’origine extrême-orientale, le jeu de go oppose deux joueurs sur un échiquier initialement vide, avec pour objectif d’y occuper plus de place que l’adversaire, en délimitant peu à peu des zones auto-immunes ; sinon, neutralisées.

 [60]       Colossal marché que celui des semences, où l’activité de multinationales, nanties de surpuissants réseaux d’influence, s’efforce d’investir la politique des grands organismes de développement ; nationaux, comme nous le suggérons dans le corps de l’article ; et internationaux, comme, par exemple, la FAO, le PNUD, le PAM ou le FIDA. Ainsi, lors de la « crise » alimentaire de 2008, que d’aucuns analysent comme un « mécanisme spéculatif » mis en place pour « compenser » – un tant soit peu et, surtout, rapidement – les pertes de la crise financière des subprimes, un concert de « voix autorisées » s’est élevé de ces organismes pour situer le surdéveloppement des intrants – semences et engrais, prioritairement – dans la politique agricole des pays pauvres, en remède absolu et universel. Monsanto et ses consœurs se frottent déjà les mains…

 [61]   Première publication in « Horizons », Automne 2008.

[62]   Appellation d’Origine Contrôlée.

[63]       « Deux cents », en hassaniya : allusion aux « droits d’octroi » que s’accorde le moindre uniforme mauritanien en charge de la circulation routière (200 UM, au bas mot…), sous les plus divers et souvent futiles prétextes… Des « droits » qui ont d’ailleurs tendance à augmenter de façon exponentielle, tant en quantité qu’en champ, au fur et à mesure que les galons de ces forces dites de sécurité s’élèvent vers les étoiles

 [64]   Première publication : « La Tribune », Février 2007.

[65]   J’y ai en définitive renoncé, préférant intégrer cette approche dans un projet plus global, objet même du présent ouvrage.

 

 

 

 

 

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