ÎLÉMOR, l’emzao accompli (chapitres 17 et 18)
17
La prédiction du vieux druide de Beltaine prit brusquement du corps avec le débarquement allié en Afrique du Nord. Certes lointain mais que les Allemands se hâtèrent de rapprocher de l’Hexagone, en envahissant, à peine trois jours plus tard – Un 11 Novembre ! Comme une nouvelle gifle retentissante aux vainqueurs de 14-18… – la zone non-occupée. Un empressement surtout révélateur de la sourde angoisse qui monte parmi l’élite militaire teutonne : la Wehrmacht n’est plus conquérante. L’enlisement en Russie aux portes de l’hiver laisse présager de sombres lendemains. Encore assez diffus pour la plupart des officiers actifs en Bretagne, ce sentiment prenait, chez le sturmbannführer Friedrich Narsohn, une tournure singulièrement personnelle. Le piétinement de la glorieuse armée du Führer, c’était le sien propre dans la conquête de l’inaccessible Aïcha. Chaque mauvaise nouvelle de tel ou tel front le voyait d’autant plus torturé qu’elle coïncidait quasi systématiquement avec un contretemps dans ses manœuvres de séduction.
Obsédé à l’idée de perdre la face – et la guerre… – il en venait à prendre la moindre plaisanterie de la dame et de ses amies comme un cinglant affront. « Je les aurai, ces garces ! », ruminait-il, en imaginant les plus sombres plans pour débarrasser sa cour des encombrantes gardiennes. Isolée, Aïcha finirait «naturellement », s’acharnait-il à se persuader, par reconnaître la loi du plus fort. Il y songeait de plus en plus souvent, sans pour autant accomplir le pas décisif. Jusqu’à ce 15 Janvier 1943 où basculèrent tant de vies à Lorient. On ne s’était guère inquiété la veille, juste avant minuit, du déclenchement des sirènes. Le survol de la ville par des avions anglais était fréquent et ne durait que le temps d’un feu nourri des batteries antiaériennes. Mais le lâcher, cette fois, de fusées éclairantes en grand nombre, vingt minutes plus tard, annonçait une tout autre suite. Des milliers de bombes incendiaires s’abattirent sur la Nouvelle-ville et le quartier Merville. Près d’une centaine de feux s’allumèrent en même temps et il fallut faire appel aux pompiers de toute la région, de Vannes à Quimper, pour en venir à bout un peu avant midi.
On comptait maintenant les édifices détruits : cent vingt maisons et deux églises ; relevait les morts : une douzaine ; et soignait les blessés… par centaines. Croyant l’attaque achevée, les Lorientais s’enhardirent à nouveau dans la rue… avant d’en fuir en tous sens sept heures plus tard sous un second déluge de feu, formidablement plus puissant et bientôt augmenté de bombes explosives. Après trois terrifiants tours d’horloge, le centre-ville n’était plus qu’un immense brasier. Tout comme le quartier Kerentrech où demeurait Pierre, le fils aîné d’Yves. Le 14, on avait fêté dans sa coquette petite villa le premier anniversaire de son dernier enfant. Yves y avait amené, le matin, son épouse et leur benjamine, avant de repartir vers Vannes pour une transaction au service des Allemands. « Je reviendrai vous chercher mardi », avait-il promis en embrassant tendrement l’adorable chérubin. Il en était maintenant à s’inquiéter, seul avec son cadet à Auray, au spectacle dantesque de l’horizon en feu, attisé par un violent vent de Sud-est.
Et père et fils de se précipiter dès l’aube aux nouvelles. La route était encombrée d’une file ininterrompue de véhicules divers où les fuyards éperdus avaient entassé, pêle-mêle, ce qu’ils avaient pu sauver du désastre. On croisa quelques connaissances, aucune ne savait ce qu’il était advenu de Pierre et des siens. Maintenant que le camion d’Yves approchait, péniblement, des faubourgs de Lorient, l’atmosphère devenait irrespirable ; dense et noire, l’âcre fumée obscurcissait le ciel, par endroits troué d’éclaircies révélant le gigantisme des flammes. Et puis ce fut la découverte de l’horreur : la maison de Pierre écroulée, tandis que s’affairaient quelques pompiers et autres volontaires à extirper les corps des décombres. Prêtant immédiatement main-forte aux secouristes, Yves et Jakez apprirent que, variablement blessés, Pierre, son épouse et ses quatre enfants se reposaient dans un centre de secours improvisé à cinquante mètres de là. « Va voir ! », commanda Yves à son cadet.
Celui-ci en revint moins de dix minutes plus tard avec son grand frère, le bras en écharpe et la tête enturbannée d’une bande tachée de sang. « Lorsque la bombe a explosé », expliqua Pierre, « on était tous à la cave. Et puis une énorme plaque de béton nous est tombée dessus, j’ai perdu connaissance, maman et Soisic sont toujours là-dessous. » On redoubla d’efforts avec l’énergie du plus fol espoir… Jakez dégagea enfin une main fine… c’était celle de sa petite sœur ! Et, sanglotant toutes les larmes de son corps, il finit d’en extirper le cadavre pour l’enserrer compulsivement dans ses bras, tandis qu’Yves et Pierre ramenaient au jour celui de la pauvre maman. « C’est fini », commenta Pierre à l’adresse des autres sauveteurs, « il n’y a plus personne là-dessous, merci pour tout ». Le chef des pompiers mit à disposition deux cercueils de fortune et un homme pour aider à les transporter au centre de secours où l’on enregistra les déclarations de décès. Et après avoir signé toutes les décharges, Yves installa tout son monde dans le camion pour les ramener à Auray.
Aussi affecté était-il par le drame, Yves n’en perdit pas pour autant sa lucidité. Il savait y devoir chercher une lecture autrement sereine et, surtout, s’armer d’une vigilance accrue, d’autres évènements extraordinaires pouvaient maintenant surgir à tout instant. Le retard anormal du Vaillant – parti le 7, Hoël ne comptait pas rester en mer plus de huit jours – mit le jeune druide en alerte, dès le lendemain des funérailles célébrées à Sainte-Anne d’Auray, en grand cortège de solidarités et condoléances accourues de toute la région. Toujours sans aucune nouvelle le 25, il reçut cependant l’assurance, transmise deux jours plus tard par le réseau Hector, qu’aucun bateau de pêche breton n’avait été attaqué par l’aviation alliée depuis le départ du Vaillant. Avec cette mention que lui rapportait maintenant Jakez : « Mets à l’abri Aïcha et sa fille, Friedrich Narsohn est peut-être à l’origine de cette situation. » Sans chercher à savoir d’où venait l’information – pour rien au monde, Jakez n’aurait dévoilé, même à son propre père, la présence de Cadfan en Bretagne – Yves prit sans attendre les décisions qui s’imposaient.
Cela commença par une très secrète visite au maître de Beltaine qui l’initia, dans la nuit du 28, au rituel des trois ogams. « Trois portes sont à même de fermer n’importe quel lieu à toute volonté malfaisante. Chacun de ces ogams en constitue la clé. Tu écriras, avec de l’eau de foudre, le premier sur cette baguette de coudrier, le second sur cette autre d’if, avant de les confier à deux de tes élèves qui auront à parcourir, chacune en sens inverse en partant simultanément de l’Est, tout le tour de l’île. Quant au troisième, c’est toi-même qui l’inscriras sur la pierre du Vénérable, sitôt les deux périples achevés. Attends le midi d’Imbolc, il n’arrivera rien de fâcheux avant : Brigit est avec vous ». Puis, au matin du 29 qui allait voir Lorient subir son cinquième bombardement depuis celui du 14, Yves se rendit à l’entrepôt Mabon et Cie pour informer Aïcha de ce que Hoël ne serait probablement pas rentré à temps pour les amener sur l’île avant la fête. Ce serait donc lui qui s’en chargerait dès le lendemain matin à l’aube.
L’enchaînement infernal des attaques sur Lorient tenait le sturmbannführer Narsohn terré dans les plus souterrains blockhaus de la base sous-marine. Il y enrageait littéralement, proférant des propos de plus en plus incohérents. Il avait un rite à accomplir, disait-il, qui sauverait le Reich. « Calme-toi, Friedrich », l’enjoignait son fidèle lieutenant, « tu vas finir par devenir fou. – Non, tu ne peux pas entendre, Otto, la mission dont je suis chargé ». Comment les deux hommes se retrouvèrent-ils, le surlendemain au matin, devant la porte hermétiquement close de l’Établissement Mabon et Cie ? On se perdrait en conjectures à tenter d’expliquer cette inexplicable entorse à l’ordonnance militaire de l’occupant pratiquement assiégé en sa citadelle lorientaise. Toujours est-il qu’ils étaient bien loin de leur consigne sous-marine et que Friedrich osa le geste qui allait le précipiter de l’autre côté du monde. Après avoir toqué vainement à la porte de l’étage, il en fracassa la serrure d’une balle de son Lüger et entra : personne ! Dehors, un gamin passait à vélo et remit un papier à Otto en faction au bas de l’escalier extérieur : « Un message pour toi, m’sieur le commandant ! » ; avant de filer à toute pédale.
« Rendez-vous, chevalier, ce soir à huit heures tapantes, dans la grande cour du château de Suscinio. Duel d’homme à homme, à cheval, à l’ancienne ». C’était exactement ce qu’il fallait au lorrain un instant décontenancé par l’absence de sa dame de cœur pour le relancer en sa folie des grandeurs épiques. « Ach ! », s’exclama-t-il, « Voilà l’appel, je vais savoir, enfin ! Cours, Otto, réquisitionne un van et amène-moi Unbesiegbare et ma grande malle rouge, à la sortie Sud de Sarzeau, au coucher du soleil ! » Unbesiegbare – l’Invincible – c’était son « cheval de combat », comme il le désignait fièrement à ses collègues de la petite brigade de la Kavallerie-Division qui partageaient avec lui les écuries d’une ancienne ferme équestre, non loin de Belz, où il faisait entretenir ses trois montures et divers équipements. Gagné par la folle exaltation de son chef, Otto s’empressa de répondre à son attente. Pour se retrouver au crépuscule devant le fabuleux tableau de son sturmbannführer tout de noir vêtu, cuirasse, heaume et panache itou, dressant haut le ciel, à cheval sur son « Invincible » harnaché, lui, de brides, selle et couverture écarlates, l’incroyable lance tirée de la fameuse malle qui avait tant intrigué l’écuyer de circonstance.
« Je te le confie », commenta Friedrich en tendant son Lüger à celui-ci, « il n’a rien à faire en cette histoire. Toi non plus d’ailleurs : ne franchis pas l’entrée ! Quoiqu’il arrive, n’interviens pas ! Tu veilleras seulement à ce que nul ne nous importune et que nul ne subisse la moindre représaille pour ce combat aux racines du temps. Jure-le ! » Totalement subjugué, Otto jura et l’on se mit en route vers le château. On devina bientôt, dans l’épaisse nuit noire, l’imposante stature de ce qu’il restait de la tour Nord-ouest. Penchant alors vers la tête de sa monture, Friedrich lui murmura quelques mots « en vieux patois lorrain », croirait devoir avancer Otto dans l’étrange rapport qu’il fit à sa hiérarchie le lendemain. « Les yeux d’Unbesiegbare se sont aussitôt injectés de sang », y affirmerait-il, sans oser ajouter qu’il lui avait même semblé percevoir des flammèches jaillir des naseaux fumants de l’animal. Signe du Destin, c’est en partant vers l’Ouest que le cavalier entreprit de rejoindre l’entrée de ce que d’aucuns appelaient la demeure de Mélusine. L’antique domaine des ducs de Bretagne n’était quasiment plus que ruines inhabitées, douves asséchées, remparts branlants, avec, de ci, de là, de larges fissures qui annonçaient leur probablement prochain écroulement.
« Je suis d’abord resté à faire le guet à l’entrée », poursuivait Otto dans son rapport. « De là, j’entendis les deux adversaires se saluer à voix forte. « Je t’ai connu plus imposant, Fils Noir ! », lança le premier en un allemand impeccable. « Et toi, beaucoup moins, Fils Gawain ! », répondit Friedrich. «Mais qu’à cela ne tienne, c’est aujourd’hui l’heure de ma revanche et l’apothéose du Grand Reich ». Maintenant, je m’attendais au galop des chevaux et à l’engagement des lances. Je fus donc très surpris de n’ouïr que mélopées dans une langue que je ne connaissais pas. Le ton monta brusquement, avec des clameurs assourdissantes. Des éclairs illuminèrent le ciel et je crus un instant à un bombardement. Mais comment? Pas le moindre vrombissement d’avion ! Je me précipitai alors vers une fissure assez large du rempart d’où je pus suivre la suite de l’inouï combat. Les éclairs paraissaient jaillir tout autant du ciel que des gants des deux cavaliers. Mais le plus terrifiant, c’étaient ces moellons de granit qui semblaient s’arracher spontanément des murs pour se précipiter vers l’un ou l’autre des combattants qui les esquivait habilement ou foudroyait d’un seul revers de main.
Plus grand que Friedrich, son adversaire vêtu de rouge et de blanc chevauchait un percheron pommelé, tout harnaché, quant à lui, de noir strié de coutures dorées. Sa lance était surmontée d’un petit fanon ; lui aussi rouge et blanc. Titanesque, le combat dura plus d’une demi-heure, sans que je puisse un instant pressentir qui en sortirait vainqueur. Puis le chevalier rouge et blanc hurla un terrible cri affreusement strident qui m’obligea à me boucher instinctivement les yeux et les oreilles. Je perçus tout de même qu’il le répéta par trois fois. Et le silence revint. Encore très choqué par l’intensité de l’invocation, je rouvris les oreilles pour entendre tomber un corps. « Toujours la même fin, fils des ténèbres », lança le terrible chevalier à l’adresse de Friedrich étendu au bas de sa monture, « toujours la même fin, aujourd’hui et demain comme il y a mille ans, tant que dureront les temps ! », avant de tourner la bride de son cheval et sortir posément de l’enceinte vers le Nord…
Follement inquiet, j’attendis d’être sûr de son départ, avant de courir au chevet de notre infortuné commandant… pour y sentir mon sang comme se glacer dans mes veines : Friedrich avait littéralement disparu ! Du tas de ferraille et d’habits qui jonchaient à la place où je l’avais entendu s’écrouler, rien d’autre que le tas de cendres que voici ! » Analysées à la morgue de la base, elles se révélèrent bel et bien celles d’un corps humain. Il fallait en référer directement à Himmler, convint, abasourdi, le conseil réuni pour traiter cette affaire démente. La réponse du chef de la Gestapo parvint sans tarder. « Renvoyez-moi dès ce soir Otto à Berlin avec son rapport, lesdites cendres et la malle rouge. Motus et bouche cousue ! Officiellement, Friedrich Narsohn aura quitté Lorient avec son lieutenant ». On n’entendit plus jamais parler ni de l’un ni de l’autre et ledit conseil se sentit fort soulagé par l’omerta qui s’était abattue sur cette insupportable distorsion irrationnelle dans la rigueur de son ordonnance guerrière.
On en parlerait plus longtemps à Saint-Gildas de Rhuys et à Sarzeau où les éclairs au-dessus du château n’étaient pas passés inaperçus. Et si personne ne s’était aventuré à approcher des ruines, les langues ne s’en étaient pas moins risquées à des explications aussi mystérieuses qu’invariablement féeriques où Mélusine tenait le haut du pavé. D’autres évoquaient le passage, à la tombée de la nuit d’un van conduit par un SS. N’était-ce pas encore lui qu’on avait entendu repartir trois heures plus tard ? L’hypothèse de l’implication de l’Occupant ajoutait à la peur des gens. Et le seul qui aurait pu éclairer un tant soit peu l’énigme – le maréchal-ferrant de Sarzeau – se gardait bien de le faire. Loïc Le Carradec, Eugène de son nom de code, avait en effet pris en charge, le 31 Janvier au marché des bestiaux de Vannes, le beau cheval pommelé qui allait se révéler un des acteurs du prodigieux évènement. Puis, très discrètement, à l’aube du 1er Février, l’inconnu que lui amenait dans son sinago Jakez, alias François, sur la plage au Nord du village.
Désormais pleinement à la hauteur du surnom que lui avait donné Morgane, Cadfan était bel et bien ce visiteur de l’aube. « Laisser Narsohn en vie, c’est condamner impitoyablement des innocentes », avait-il fait reconnaître à ses amis d’Hector, « l’exécuter d’un coup de fusil ou de pistolet, c’est tout aussi impitoyablement sacrifier plusieurs dizaines d’otages. Mais en le provoquant à un duel d’un autre monde – il y répondra, j’en suis certain, il est, exalté, à bout de nerfs… – je lui réglerai son affaire sans que nul autre n’en pâtisse. Faites-moi confiance ! Je sais de quoi je parle, j’ai été formé pour cela. » Plusieurs de ses interlocuteurs étaient des officiers de cavalerie et comprenaient intuitivement le code d’honneur auquel Cadfan se référait. Le gallois en faisait une affaire strictement personnelle et prendrait, ils en étaient tous conscients, les dispositions qu’il fallait pour parer à la moindre anicroche, il n’y avait donc rien à objecter à sa décision. Seulement aider à l’accomplir, en minimisant les risques susceptibles de compromettre le réseau.
Le plus étonnant peut-être, au-delà bien évidemment du combat lui-même, fut la coïncidence entre la retenue de la Gestapo à dépêcher illico une enquête dans les villages environnant le château et celle de Cadfan qui dut attendre, blessé, trois longues journées dans la cave de Loïc Le Carradec. Jakez pêchait au plus près du rivage, prêt à évacuer le preux chevalier fermement décidé, lui, à croquer la fatale pastille qui mettrait immédiatement fin à son aventure, avant de se jeter à l’eau, lesté de ce qu’il fallait pour y disparaître à jamais. Tout le réseau Hector était en alerte, à l’affût du moindre renseignement signalant une quelconque excitation de la police allemande. Mais rien de tout cela n’advint, par les bons soins d’Himmler à effacer toute trace d’une défaite si profonde à l’entendement de l’« initié » qu’il se targuait d’être. Et, tandis que sur le front russe, l’armée soviétique fêtait sa victoire à Stalingrad, Aïcha, revenue le jeudi de l’île avec Solen et les deux petites, faisait réparer à Saint-Goustan, la porte fracturée de son appartement…
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18
« Narsohn est rentré en Allemagne », annonça Yannick à Yves qui se souciait de l’effraction perpétrée au domicile de Hoël, « Je le tiens de mon contact à la Feldkommandantur, informée ce matin même par la Gestapo de Lorient. Mais je n’ai par contre toujours aucune nouvelle du « Vaillant ». C’est vraiment inquiétant… » De fait, l’administration de Vichy en était encore à se réorganiser, après l’abattement de la ligne de démarcation trois mois plus tôt. La réaffectation des dizaines de milliers de marins démobilisés occupait particulièrement le ministère des Affaires maritimes, tandis que la poursuite de la destruction de Lorient posait d’insoutenables problèmes dans tout le Morbihan. Après la terrible attaque du 7 Février, de loin la plus intense, plus de six cents immeubles furent encore détruits. Presque entièrement évacuées, la ville et sa région immédiate subirent deux nouveaux assauts les 13 et 16, pour se retrouver, au matin du 17, devant le chiffre effrayant d’au moins cinq mille édifices – sur huit mille – anéantis, le reste très endommagé et inhabitable, avec plus de vingt mille sinistrés à la clé.
La base sous-marine n’avait quasiment pas souffert. Mais le vrai gain apparent, pour les Alliés, c’était la désertion totale de la main d’œuvre locale employée sur les chantiers de l’Organisation Todt. Hier encore fort intéressés par des salaires conséquents – comme en avait témoigné la situation aisée de Pierre et de sa famille à la veille de leur brutal malheur – ouvriers et patrons n’étaient pas prêts à retenter le diable. Les Allemands durent donc recourir à la loi qui instaurait, le 16 Février, le très impopulaire Service du Travail Obligatoire (STO), pour achever, avant la fin du mois, la construction de la base Kéroman 3. Mais déjà les défections s’organisaient. Et avec elles, l’entrée dans la Résistance. La nomination, dix-neuf mois plus tôt, du chef d'escadron Maurice Guillaudot à la tête des gendarmes du Morbihan avait singulièrement renforcé les capacités de celle-ci et le réseau « Action » qu’il avait fondé avec ses hommes se révélait maintenant des plus efficaces dans le recrutement et l’encadrement de la bleusaille, ciblant principalement les jeunes touchés par le STO. Certes, il peinait encore à traiter avec les communistes mais nombre de ceux-ci s’étaient déjà résolus à rejoindre, eux, le réseau « Hector ».
Le lamentable échec à instrumentaliser la destruction de Lorient pour contrer l’anglophilie croissante des Morbihannais prouva combien le gouvernement collaborationniste s’était isolé des gens. Et l’application de l’Amirauté enfin réorganisée à fustiger les agressions anglo-saxonnes à l’encontre des pêcheurs bretons s’en retrouvait d’autant plus dérisoire. Pour ne pas dire tordue, en l’occurrence de la disparition du Vaillant : l’avis officiel transmis le 7 Mars à Yannick situait ainsi au 24 Janvier la « sauvage attaque, injuste et illégale » qui avait envoyé par le fond le chalutier et tous ses hommes. Le gratte-papier chargé de rédiger le procès-verbal ne s’était même pas hasardé à préciser la nature de l’agression, aérienne ou sous-marine… Il lui suffisait d’être odieuse et c’était la seule utilité de ce rapport, pensait son auteur. Déjà dubitatif avec l’information transmise par le réseau Hector, Yannick y ajoutait maintenant la très forte improbabilité de la date du drame. Une chose restait cependant certaine : soixante jours après son départ de Saint-Goustan, le Vaillant n’était toujours pas rentré au port.
L’éventualité d’un départ volontaire, sinon arraisonnement, vers l’Angleterre ou tel ou tel territoire de l’Empire français, définitivement écartée par le silence des nombreux contacts avec les FFL, il fallait donc se résigner à célébrer la traditionnelle cérémonie funèbre honorant les marins disparus en mer. En fait, les témoignages de soutien moral avaient commencé à se manifester dès la dernière semaine de Janvier. On n’osait prononcer les mots fatidiques mais l’hypothèse du naufrage était déjà variablement envisagée et, moins encore dite, la disparition tragique des hommes du Vaillant. « Garde espoir, Aïcha », soutenait cependant Soisic, « en dépit de toutes les apparences contraires, Hoël est bien vivant ! » ; tandis qu’Yves rappelait à qui voulait l’entendre l’étrange don de son amie. « Je ne lui connais pas de s’être une seule fois trompée », insistait-il. Mais si bien entourée par la compassion de tous, l’épouse du regretté entrait déjà dans la résignation si « naturelle » de sa culture musulmane devant la mort.
La déclaration officielle du drame amena l’évêque à proposer à son « cher ami Yannick » d’organiser tout d’abord quelques veillées spirituelles à l’Établissement Mabon et Cie. « Il faut, aux familles, un lieu commun de réunion où apaiser ensemble leur peine, lui donner une issue fraternelle », disait le sage prélat, sans mesurer combien les faits en avaient déjà largement ouvert la voie. Follement inquiète pour le petit Didier, sa maman avait pris l’habitude de passer tous les jours avec telle ou telle de ses amies au domicile d’Aïcha et la coïncidence avec la destruction de Lorient élevait leur attente dans une dimension autrement plus sublime. Il y avait à dépasser la souffrance personnelle, c’était le Morbihan entier qui appelait à resserrer les rangs, exprimer sa solidarité, répondre au malheur par une mobilisation décidée de tout le peuple. Un profond sentiment de communauté qui tendait, auprès d’Aïcha la mauritanienne musulmane, à une exceptionnelle universalité…
D’autant plus prise par l’ambiance que ses amies de l’île s’y dévouaient aux premières loges, Aïcha la couronnait de cette vertu si instinctive des gens du désert à porter spontanément assistance à quiconque en détresse, en partageant sans compter le peu qu’ils détiennent. Elle avait mesuré, dès le retour d’Yves et les siens à Auray, l’ampleur du désastre qui frappait les Lorientais et transformé, avec l’aide de Solen, Soisic et Goulawenn justement de passage à Saint-Goustan, la majeure partie de l’entrepôt en centre d’hébergement d’urgence. Immédiatement engagé à en assurer le financement, Yannick ameuta tout son entourage d’affaires à y contribuer. « Soyez à la hauteur », s’enflammait-il, « de cette noble dame même pas du pays et très probablement veuve, hélas ! Sa foi interroge la nôtre, à nous de nous y révéler meilleurs ! » Un défi à ce point entendu qu’Aïcha dut bientôt faire appel aux associés de son défunt mari pour gérer les dons qui affluaient de toutes parts.
Puis, absorbée par l’hospitalité de leurs proches respectifs, la vague des sinistrés décrut rapidement. Et avec le silence retrouvé, le cheminement du deuil reprit son droit. Mais on partageait maintenant ce goût surprenant d’avoir déjà dépassé, au service d’autrui, la fatalité du déchirement. Comme si la perte d’êtres chers avait pris du sens, ouvert des perspectives. Toujours soutenues par l’initiative de Yannick, les familles endeuillées entreprirent de poursuivre, à distance, leur aide aux plus démunis par le désastre lorientais. On se voyait toutes les semaines pour l’organiser au mieux et c’était vraiment réconfortant, cette échappatoire à l’angoisse. Une consolation au demeurant fort peu accessible à la petite Rabi’a qui s’employait, elle, à composer de plus subtils et féeriques baumes. Et de ne manquer, en conséquence, aucune occasion d’interroger celle qui lui paraissait de loin la plus experte en cet art difficile. « Dis-moi, grand-mère », lui avait-elle ainsi lancée, « où est donc mon papa, s’il est vraiment vivant ? »
Certaine de son intuition, Soisic n’en avait pas pour autant réponse précise à la question de sa petite-fille. Mais elle détenait largement de quoi l’aider à s’y retrouver. « Je crois, ma chérie, qu’il est en Avalon, l’Île d’Or, la maman de toutes les îles. La vie y est si belle que les rares qui la découvrent n’éprouvent à l’ordinaire jamais le désir d’en repartir. Mais il y a des exceptions, Rabi’a, et l’amour que te porte ton papa peut le lui inspirer, sinon t’ouvrir un passage vers sa merveilleuse demeure… ». Ainsi s’initia la grande quête de l’enfant-prodige. Avec un premier souci : situer Avalon sur une carte. « Non, ma jolie », lui sourit tendrement Yves, « l’Île Fortunée va et vient, elle n’a de lieu ferme qu’en ton cœur. – Oh ! », s’exclama Rabi’a, « C’est comme les montagnes du Saint Coran, on les croit immobiles alors qu’elles passent, comme des nuages… – Oui, petite fille, c’est avec cet œil-là que tu retrouveras ton père. » Et si le druide à l’orée de son propre accomplissement n’en disait pas plus, il ne se réjouissait pas moins, en son for intérieur, de la constance naturelle de la petite musulmane à rassembler tous les enseignements qu’elle recevait sans jamais les confondre…
Elle y était aussi beaucoup aidée par son maître de Coran. Toujours très exigeant sur l’exactitude de la récitation sacrée, Ahmed prenait, depuis que Rabi’a avait abordé le dernier sixième de sa mémorisation du Saint Livre, le temps de lui en révéler certaines subtilités. « À tout zâhir [apparence], son bâtine [secret] », disait-il, « et sous chaque bâtine dévoilé, encore un voile à lever, encore et encore, indéfiniment… Chaque énigme, dans ta vie, a sa réponse dans le Saint Coran, si tu sais lire avec l’œil du cœur. » Une attitude que favorisait la relation maintenant beaucoup plus soutenue entre le maître et son élève. Il avait fallu en effet déplacer la mahadra, suite à la tragédie de Lorient qui avait obligé plusieurs familles musulmanes à partir au loin. Réduites en conséquence, les entrées d’argent ne permettaient plus d’assurer le loyer de l’école et c’était tout naturellement qu’Aïcha avait proposé d’installer celle-ci dans les communs naguère réservés, en bas, à l’équipage sénégalais du Vaillant.
Si Ahmed y dormait seul, il prenait tous ses repas à l’étage, avec, au minimum, Aïcha, Solen et les deux petites. À ceci près que, petite, Briéga ne l’était plus guère, en dépit de sa toujours espiègle complicité avec Rabi’a. Ses petits seins gonflant sous la chemise racontaient l’imminence de la puberté. Elle n’en avait cure, pas plus flattée que préoccupée par les regards des hommes au marché. « Rien ne t’oblige, Briéga », commentait cependant Aïcha, « à te couvrir un peu plus mais, crois-moi, c’est au final très reposant que de se préserver des indiscrets… » Un souci au demeurant absent à la table familiale où l’évident amour entre Ahmed et Solen épargnait la gamine de toute équivoque. L’annonce de leur mariage, au lendemain du Maouloud, l’avait fait bondir de joie, avant de l’entraîner illico dans une folle sarabande avec Rabi’a. La rencontre d’Ahmed, la veille, avec l’imam de la petite jama’a malékite de Vannes, avait en effet permis de lever les derniers doutes quant à la validité religieuse de cette union, après celle, temporaire, qui avait donné naissance à Briéga dont le géniteur n’avait jamais cherché à assumer la paternité.
En relation d’affaires avec Yves, Hervé le cadet, un des grands frères de Solen, avait eu vent de la conduite exemplaire de sa sœur dans le secours aux sinistrés de Lorient et fait l’effort de reprendre contact avec elle au début du mois de Mars. Il y avait un peu de monde, ce jour-là, à l’entrepôt Mabon et Hervé put ressentir la profonde estime des gens envers sa sœur et son « fiancé », comme tout un chacun lui désignait Ahmed. Après avoir salué celui-ci d’une solide poigne et avant de monter déjeuner avec eux à l’étage, Hervé les prit en aparté. « Pardonne-moi de t’avoir négligée, Solen, et sois le bienvenu, Ahmed, dans notre famille. Vous nous honorez et je serai, cette fois, votre témoin devant tous ». Il tint parole en accompagnant, quinze jours plus tard, Ahmed chez ledit imam qui l’enregistra en tant que représentant matrimonial de sa sœur chrétienne. Et en se déclarant, le lendemain à la mairie d’Auray où l’on enregistra le mariage civil, témoin de l’heureux franco-sénégalais, en compagnie d’Aouragane qui en faisait de même pour Solen.
Discrètes réjouissances… En cette équinoxe de printemps, on n’en était certes plus à éponger les larmes qui avaient mouillé le procès-verbal officialisant la disparition du Vaillant et de ses hommes mais la retenue des mots et des vivats était vraiment sensible. Renonçant aux sonneries, on avait chanté, un peu ; écouté, religieusement pour ainsi dire, l’émouvant discours d’Ahmed à l’espoir du printemps ; mangé et bu, sobrement, à la table à nouveau dressée au milieu de l’entrepôt ; murmuré, tendrement, maints encouragements aux endeuillés… avant de se quitter, fraternels, avant le couvre-feu. Juste ce qu’il fallait, somme toute, pour rendre à la vie son cours. Et, tranquille, celle-ci se mit à l’ouvrage en son nouvel habit. Après le dîner, là-haut, avec la dizaine d’intimes qui resteraient à dormir avant de repartir le lendemain, Solen descendit avec son époux au rez-de-chaussée : c’était pratiquement la seule nouveauté dans l’ordonnance de la maison…
Dehors, le sort de la guerre basculait. Après la reddition, le 13 Mai 1943, des forces de l’Axe en Tunisie, l’Italie se voyait envahie par les Alliés, pour capituler à son tour à peine quatre mois plus tard. Après avoir un peu piétiné au Nord, l’armée soviétique franchissait le Dniepr et perçait à Kiev. Il devenait clair que les communistes seraient nécessairement associés à la fin du conflit et les intenses négociations entre les divers réseaux bretons de résistance, tout au long de l’hiver 1943-1944, se conclurent par la formation de dix bataillons, regroupant quelque douze mille hommes de toute obédience, bien encadrés, armés et désormais réunis sous le sigle Forces françaises de l'intérieur (FFI) au Morbihan. On était maintenant fort loin de l’attitude relativement conciliante de l’Occupant. Le bombardement de Lorient, les désertions du STO, le développement des sabotages et des attentats avaient aiguisé les crocs de la Gestapo. Ses cruelles exactions enlaidissaient chaque jour un peu plus une vitrine nazie déjà jonchée de suppliciés, drames et échecs. Les dés étaient jetés et l’arrestation de Guillaudot, le 10 Décembre, ne retarderait en rien l’inéluctable : le Morbihan était résolu à l'action armée.
Cela impliquait des choix définitifs. Pressentant la défaite de leurs protecteurs, le PNB des frères Delaporte cherchait à s’en séparer. « Les rats veulent quitter le navire », s’en indignait Célestin Lainé qui entendait, lui, former une armée bretonne associée aux Allemands. Et de fonder, à Rennes, le groupe « Cadoudal » en ce sens, avant de le rebaptiser « Bezen Perrot », après l’exécution, par des FTP du Finistère au surlendemain de la séquestration de Guillaudot, du célèbre abbé coincé entre collaboration avec l’Occupant et condamnation du paganisme nazi. Quelques centaines d’hommes, tout au plus, dont une partie fut intégrée dans la Waffen SS sous uniforme allemand. Un pathétique baroud d’honneur, dérisoire en son effectif au regard de ceux de la Résistance mais assez virulent, tout de même, pour causer à celle-ci quelques méchants coups. Avec cet inquiétant constat : aussi disproportionnées paraissaient les forces en présence, les risques d’une guerre civile au lendemain de la défaite allemande étaient bel et bien réels.
On s’en souciait dans les états-majors à Londres. Mais pas seulement. Nombre de bretonnants qui s’étaient abstenus d’adhérer ou de s’opposer ouvertement au PNB et consorts s’employaient plus humblement à reconstruire, au quotidien, un avenir apaisé en Armorique. Fidèle à l’enseignement de Brigit et de ses amies, Yves était de ceux-là. Obstinément centré sur le Morbihan, on le croisait pourtant de loin en loin dans les grands pardons des trois autres départements bretons. Attentif à ne jamais paraître aux premières loges, il y restait à distance de tous les débats qui avait tant enflammé la région depuis le début du siècle : fédéralisme-nationalisme, droite-gauche, chrétienté-laïcité de l’État et de l’école, surtout ; pour s’intéresser plutôt aux préoccupations triviales des gens et s’efforcer d’y apporter, à la mesure de ses moyens, des réponses concrètes. Avec ceci de ne jamais renoncer, une fois qu’il s’était engagé envers quelqu’un ; une sorte de fil incassable, donc, qui recousait patiemment un pays fatigué par trop de tensions.
Si pleinement dans l’esprit qui avait animé leur école, la même attitude assemblait toutes les femmes de l’île. Immédiatement présentes auprès d’Aïcha, dans la conduite du centre d’hébergement d’urgence, elles s’employaient maintenant à en étendre la fonction. Une attention à soutenir les plus démunis qui s’abstenait de toute affiche religieuse. Même Gaël que la supérieure de sa congrégation avait dépêchée en cette œuvre de charité évitait de la colorer de son catholicisme, tout comme Aïcha de son islam, et cette retenue laissait à chacune la liberté de conduire à sa guise les actes quotidiens qu’elles partageaient diversement chaque jour. Yuna avait ainsi beaucoup renforcé ses liens avec sa cousine et effectuait de nombreux aller-retour entre Sainte-Anne et Auray. Aouragane côtoyait les cercles libres-penseurs, Goulawenn les réputés païens, tandis que, plus contraintes par leur maternité, Gaud et Kelog partageaient leur temps entre la maintenance de l’île, avec Soisic, et l’intendance, avec Aïcha et Solen, du centre d’aide sociale qu’était devenu l’Établissement Mabon et Cie.
Il faisait un temps glacial, en ce début d’année 1944 à Auray. De service ce jour-là, Gaël ouvrit dès l’aube en grand la petite porte qu’Aïcha avait fait poser à droite de la grande de l’entrepôt, surmontée d’un porche couvert d’ardoises qui la protégeait de la pluie. « L’entrée des artistes », comme l’appelait plaisamment Yves. Celle des élèves de la mahadra et de tous ceux qui venaient chercher quelque réconfort ou subside. Pour en profiter, il suffisait simplement d’écarter les deux forts tissus de bure qui séparaient le dehors de la chaleur de l’entrepôt où ronronnait en permanence une cuisinière à charbon. Un vieil homme en guenilles entra. Gaël le fit asseoir à la table dressée devant celle-ci et lui servit, avec un bon morceau de miche et un pot de beurre, un grand bol de la délicieuse soupe de potiron qui mijotait sur le foyer. « Tu peux en reprendre tant que tu veux », murmura doucement Gaël. « Hum, elle est bonne! », répondit-il en breton après en avoir avalé une bonne lampée, « Bien le merci, madame ».
Tout en mangeant et comme entraîné par le bourdonnement rythmé des récitations coraniques que débitaient les élèves de l’autre côté de la cloison, l’homme se mit à pianoter par intermittences des doigts de l’une ou l’autre de ses mains sur la table. Puis, après avoir fini son bol de soupe, fouilla ses poches pour en extirper une sorte de petit bristol qu’il alla bizarrement épingler en bordure du vasistas qui aérait le lieu. Le petit vent qui s’en exhalait fit vibrer le carton. Avec des syncopes qui donnaient maintenant à la rumeur studieuse des élèves un petit air de jazz. Coïncidence ou fine ouïe, « Allez les enfants, zikr ! », lance quelques instants plus tard Ahmed. Un joyeux intermède dédié aux louanges envers le prophète Mohamed (PBL) où Rabi’a excelle particulièrement. Tandis que ces condisciples battent la mesure en frappant des mains, elle entonne l’enivrante psalmodie, ponctuée d’un « Maat’ Allahou Ahad, Allahou samad » (don de Dieu l’Unique, Dieu refuge suprême) que tous répètent allègrement en chœur. Est-ce maintenant le petit bristol qui leur donne la cadence… ou le contraire ? Toujours est-il que le vieil homme paraît ravi. Remerciant encore Gaël, « la pluie viendra bientôt », ajoute-t-il, « ça va s’adoucir… » et quitte l’entrepôt en fredonnant lui aussi le stimulant refrain…
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